Le monde scientifique et académique a ses codes. Certains y excellent en suivant la voie royale. D’autres empruntent des chemins plus singuliers. Tous sont en revanche portés par la passion, l’engagement, et la finalité de la science et du savoir : découvrir, apprendre, progresser, transmettre, être utile. Ils sont au début, au milieu ou au sommet de leurs parcours, et témoignent avec humilité de leur vision de la réussite et des leviers qu’ils ont consciemment ou inconsciemment activés pour s’accomplir, comme autant de sources d’inspiration.
La science, une passion et un défi intellectuel
Frédéric Saudou, directeur de l’Institut des neurosciences de l’Université Joseph Fourier/CHU de Grenoble/INSERM (GIN). Lauréat en 2014 du prix Lounsbery de l’Académie française et américaine des sciences, et du prix « Coups d’élan pour la recherche française » de la Fondation Bettencourt Schueller, il a été distingué pour sa contribution majeure dans la compréhension des mécanismes moléculaires et cellulaires à la base de la maladie de Huntington. Il a trouvé sa voie dans la découverte et l’utilité thérapeutique.
Vous avez obtenu un poste à l’INSERM dès votre thèse en poche. A 32 ans, vous étiez responsable d’équipe à l’Institut Curie et en 2014 vous avez été nommé directeur du GIN. Comment expliquez-vous la rapidité de votre parcours ?
J’y vois une conjonction d’événements et d’opportunités, le fait de bien choisir son laboratoire et son projet de recherche, et bien sûr du travail et de l’engagement. Je suis un exemple de parcours universitaire. J’ai commencé par un Bac technologique en chimie. Ma passion pour les mécanismes moléculaires est née à l’université. J’ai construit mon parcours en choisissant bien mes stages, mon laboratoire de thèse à Strasbourg, en réalisant deux post-doc, dont un aux Etats-Unis afin de me frotter à une autre forme d’excellence et gagner en maturité scientifique. Le fait de commencer mes recherches à une période très prolifique en biologie moléculaire avec la mise au point de nouvelles technologies d’invalidation génétique et le clonage de gènes, a été une chance extraordinaire. J’ai pu faire des découvertes très tôt. Ca été un atout pour obtenir un poste de chercheur à l’INSERM, puis décrocher les financements pour monter un laboratoire l’Institut Curie en 2000.
Qu’avez-vous découvert ?
Nous avons découvert un mécanisme moléculaire et cellulaire altérant le fonctionnement du système nerveux central, à l’origine de la maladie de Huntington. Nous nous intéressons particulièrement à une mutation de la protéine huntingtine qui altère la fonction essentielle de transport des molécules dans les neurones. Nous travaillons à un traitement permettant de restaurer cette fonction. Un essai clinique est en cours. Travailler avec les familles et les patients est très motivant. Nous savons à quoi sert notre travail. Remporter des prix permet aussi d’acheter du matériel. Ainsi, un nouveau microscope à super résolution va nous permettre d’observer encore plus finement à l’intérieur des neurones et de lancer de nouvelles approches.
En tant que directeur avez-vous encore le temps de faire de la recherche ?
J’ai en effet un rôle de coordination de la politique et des activités scientifiques, de formation de chercheurs et d’essaimage, de développement de nouvelles technologies. J’entends aussi continuer mes travaux car je ne peux pas m’en passer. Je suis porté par la découverte. La recherche fondamentale et clinique me fascine. La recherche, c’est une alchimie, un travail d’équipe, un challenge intellectuel hyper enrichissant. Néanmoins, aussi excitante qu’elle soit, elle ne peut être exclusive. Il est essentiel à mes yeux de trouver un équilibre et de s’épanouir dans toutes les dimensions de notre vie y compris familiale, sociale et amoureuse.
https://www.youtube.com/watch?v=JX7hUPUPvEM
La passion de la science et de la découverte
Sylviane Muller dirige depuis 2001 l’unité Immunopathologie et chimie thérapeutique du CNRS à Strasbourg. Avec son équipe, elle a découvert l’effet thérapeutique du peptide P140 sur le lupus. Un traitement extrêmement prometteur est en phase avancée d’essai clinique et la mise sur le marché est prévue pour 2017. La chercheuse est à l’origine de plus de 25 brevets et 2 entreprises. Sa réussite, la lauréate 2015 du prix de l’innovation du CNRS, la conçoit liée à sa passion scientifique, au travail en équipe et au service des malades.
La science, une passion de toujours ?
Depuis toute jeune, je souhaitais exercer dans un laboratoire, « un univers propre, rigoureux, ordonné ». Forte de mon brevet de technicienne, sans baccalauréat, j’ai alors suivi un cursus aboutissant à un BTS. Après seulement 3 mois de travail dans un laboratoire d’analyses médicales, le hasard d’une rencontre a changé ma vie. Une collègue que je connaissais à peine, m’a dit que, dotée d’un BTS, le poste que j’occupais était au sommet de ce que je pouvais prétendre et elle m’a conseillé de poursuivre des études universitaires. J’ai obtenu une équivalence et intégré un cycle de licence/maitrise à l’Université de Strasbourg. Les cours correspondaient exactement à ce à quoi j’aspirais, et cela m’a menée à deux thèses de doctorat !
C’est la recherche médicale qui vous a amenée à être très attachée à valoriser vos travaux ?
Mener des recherches fondamentales et les publier fait partie de mon « métier ». Mais lorsque l’on a la chance d’exercer son activité en tant que chercheur, c’est aussi un sentiment très gratifiant que de se sentir utile, quand l’occasion se présente et que la recherche qu’on mène est « valorisable ». Au bout de nos travaux, il y aura peut-être le soulagement ou la guérison de patients.
Découvrir, est-ce une joie ?
Dans un laboratoire, on vit des aventures. La « joie » est dans une multitude d’instants et d’émotions : le moment où un collègue vient vous voir avec un résultat que l’on n’attend pas ou celui où l’on se dit « enfin, ça y est ! ». Former et lancer de jeunes chercheurs est aussi source de grande satisfaction pour moi.
Quel est votre « secret » pour faire des avancées ?
Il faut de l’audace, inventer mais aussi avoir une vision et beaucoup de rigueur. Il faut savoir se remettre en cause, changer de théories, choisir une autre voie. Je m’appuie beaucoup sur mon intuition et mon expérience pour déterminer si nous allons ou non dans la bonne direction. La recherche, c’est comme une enquête, et il n’y a pas de routine.
Vous avez reçu la médaille d’argent en 2009 et la médaille de l’innovation du CNRS en 2015, pour quels travaux ?
Nous avons identifié un peptide capable de ralentir le cours d’une maladie du système immunitaire, le lupus érythémateux. Cette maladie cause de grandes souffrances et les traitements actuels, encore palliatifs, ont d’importants effets secondaires. Les enjeux thérapeutiques sont donc cruciaux. Nous avons déposé un premier brevet en 2001. Toutes nos avancées ont découlé de là avec d’autres brevets, des essais cliniques jusqu’à la phase 3 menée actuellement, le tout adossé à des sociétés pour produire le peptide et des lots cliniques. Aujourd’hui, nous avons compris comment le peptide peut inverser les mécanismes déréglés, et cerise sur le gâteau, sans effets secondaires ! Près de 400 patients l’ont reçu par voie sous-cutanée et nous travaillons sur une admission orale du traitement. Recevoir un prix du CNRS est un grand honneur, car c’est une reconnaissance très estimable des pairs.
Vous parlez de chance dans cette avancée, pourquoi ?
Nous avons découvert ce peptide par hasard, au cours de travaux que nous réalisions dans une toute autre optique chez la souris. Un autre hasard m’a fait rencontrer un entrepreneur qui possédait les connaissances et les compétences pour passer de la souris à l’homme. Toutes ces années ont ensuite été nécessaires pour étudier étape par étape le mécanisme d’action de ce peptide et réaliser plusieurs découvertes fondamentales inattendues dans des domaines inexplorés. Le challenge le plus difficile a consisté à financer les essais qui sont très couteux (40 M€ pour la seule phase 3 !).
Vous insistez également sur le rôle de votre vie familiale dans votre réussite scientifique ?
Je crois beaucoup que pour réussir, la sérénité de l’environnement personnel est un élément important qui permet de rester concentré et investi sur son sujet. J’y pense tout le temps, comme un bruit de fond en moi. Vous êtes en train de prendre votre douche ou de lire un roman, et soudain une idée nouvelle surgit ! L’idée que personne n’a jamais eue vient toujours d’un coup. Car tout ce qui est évident a déjà été exploré. Mais cette fulgurance ne peut naître que d’une grande concentration.
Le prix Nobel comme levier pour défendre la recherche et la connaissance
Professeur au Collège de France, Serge Haroche est un spécialiste de la physique atomique et de l’optique quantique. Il a reçu la médaille d’or du CNRS en 2009 et le prix Nobel de physique en 2012.
Vous incarnez une réussite « à la française » en tant que normalien, enseignant à l’X, à l’UPMC, au Collège de France ou encore à Yale et à Harvard. Qu’est-ce qui a guidé votre parcours ?
J’ai toujours été motivé par ma passion pour la recherche, la curiosité, l’envie de comprendre et l’importance de transmettre via l’enseignement. Le point culminant de ma carrière a été mon entrée au Collège de France. Y enseigner, c’est placer sa recherche dans un contexte général. J’ai aussi passé 3 années passionnantes en tant qu’administrateur du Collège de France, au contact de professeurs de toutes disciplines.
L’ouverture d’esprit est donc primordiale pour vous ?
La recherche m’a très vite mis en contact avec des collègues du monde entier qui travaillent sur des domaines voisins du mien ou même très différents. J’ai eu ce désir d’ouverture dès ma thèse en choisissant d’effectuer mon post-doc à Stanford. Il est enrichissant de voir comment la science est abordée ailleurs. Avoir l’esprit ouvert c’est aussi prendre le temps de se consacrer à d’autres activités. C’est important de s’ancrer dans la réalité, de ne pas trop se polariser sur la science. C‘est une question d’équilibre intellectuel et personnel. La réussite n’existe pas pour moi sans réussite personnelle et familiale.
Quel regard portez-vous sur votre prix Nobel ?
Je suis très heureux d’être reconnu mais estime avoir eu de la chance au regard du nombre de collègues brillants dans mon domaine. Je m’efforce de relativiser. Car au fond de moi je suis toujours le même. C’est le regard des autres sur moi qui a changé. D’un côté cela est appréciable et flatteur, d’un autre je me demande si on n’en fait pas trop parfois… Mon regret est que le prix Nobel n’ait pas pu aussi récompenser les collègues avec qui j’ai mené l’essentiel de mes recherches. Je sais que si j’ai montré la direction, d’autres chercheurs vont poursuivre et aller plus loin.
La chance est donc un facteur de réussite dans la recherche ?
En effet et à deux titres : la rencontre avec des collègues et des étudiants exceptionnels et le résultat des travaux. On ne sait jamais si l’on va trouver, ce que l’on va trouver, si les technologies sur lesquelles on s’appuie vont fonctionner. Ainsi, la qualité du dispositif permettant de manipuler des systèmes quantiques, a été déterminante pour mes travaux. Il s’agit d’une boîte aux parois ultra-réfléchissante pouvant piéger de la lumière pendant un temps long. Pour la mettre au point, nous avons expérimenté différents montages durant 15 ans ! Nous menions d’autres travaux en parallèle, mais cette boîte était notre but ultime et jusqu’au bout nous n’étions pas sûrs de pouvoir l’atteindre.
Qu’avez-vous ressenti en atteignant ce but ?
Le plaisir que l’on éprouve devant un résultat expérimental nouveau est une émotion intellectuelle très intense similaire à celle que l’on ressent, étudiant, lorsque l’on parvient à résoudre de façon élégante un problème complexe, ou en tant que chercheur théoricien lorsque l’on rapproche deux idées qui ouvrent sur quelque chose de neuf. C’est un plaisir esthétique proche de celui suscité par la musique ou l’art.
Etudiant, vouliez-vous faire de la physique quantique ?
Là encore le facteur chance à joué. Ce sont deux professeurs, deux personnalités exceptionnelles, elles aussi prix Nobel, qui m’ont orienté. Claude Cohen-Tannoudji mon directeur de thèse et Arthur Schawlow inventeur du laser, mon encadrant de post-doc.
La recherche fondamentale est-elle assez valorisée en France ?
Malheureusement non en raison de la situation économique qui limite trop les crédits et les embauches de jeunes chercheurs. C’est très dommageable. Car cette recherche est à la source de toutes les futures innovations. Elle produit de la valeur à long terme. Elle est basée sur la curiosité, totalement désintéressée et elle conduit de façon souvent fortuite à des applications inattendues. Il faut à la fois lui donner plus de moyens et la rendre plus attractive pour inciter les jeunes les plus brillants à s’y consacrer. C’est ma mission désormais, et je profite du prix Nobel pour donner du poids à mon message.
bit.ly/1BXcHxt (vidéo scientifique de S. Haroche)
« On ne fait pas de la recherche pour soi »
Philippe Monin, directeur de la recherche d’EMLYON Business School – Président de l’association du management stratégique
Est-il important de prendre plaisir à faire de la recherche pour se réaliser dans ce domaine ?
La recherche est parfois ingrate. Les places sont rares, les papiers sont refusés, les découvertes longues à venir. Il faut de l’abnégation pour surpasser cela, mais surtout prendre plaisir, aimer ce que l’on fait. La recherche ce sont aussi de grandes joies, par exemple lorsqu’un modèle très performant tombe, qu’un livre fonctionne bien, qu’on vous consulte. C’est important, car le chercheur a peu de feedback sur son travail.
Quels sont les critères rationnels de la réussite académique ?
Après votre doctorat, le premier critère est la publication dans des revues de référence ou des ouvrages solides. Publier est essentiel, car on ne fait pas de la recherche pour soi, mais pour partager. Un autre critère est la reconnaissance par la communauté scientifique. Vous êtes sollicité pour vous exprimer. A 50 ans, la réussite « classique », c’est d’avoir apporté une contribution majeure dans votre champ scientifique. La contribution théorique est extrêmement rare, la contribution empirique un peu plus fréquente. Vos livres sont cités, vous êtes considéré comme un expert, on vous consulte.
ll existe un autre visage de la réussite, quel est-il ?
Il s’agit d’avoir encadré des doctorants, supervisé des collègues juniors, des maîtres de conférence dans leurs domaines de prédilection, et non pas le vôtre. Je fais cette nuance qui n’est pas partagée par tous. Un chercheur confirmé conseille un junior, l’aide à trouver des financements, co-signe des papiers. Mais il faut admettre et être heureux qu’il s’épanouisse et nous dépasse, qu’il ait ses idées. Je n’adhère pas au modèle de réussite de « faire école ».
Vous insistez également sur la capacité à évoluer, pourquoi ?
Dans la recherche en management certains modèles statistiques sont périmés, de nouvelles technologies et outils apparaissent, bouleversant les modalités pratiques du métier. Evoluer, intégrer ces enjeux et méthodes est essentiel pour rester au top. Il faut à la fois cette capacité et cette envie.
La thèse et un prix : tremplins pour le jeune scientifique
Pauline Audigié, ingénieure INP-ENSIACET et docteure de l’INP Toulouse, lauréate du Prix Amelia Earhart 2014. Ce prix distingue chaque année 35 femmes dans le monde pour leurs travaux dans l’aéronautique, le spatial et les sciences de l’ingénieur. Pauline réalise son post-doctorat à l’Instituto Nacional de Técnica Aeroespacial (INTA) de Madrid.
La thèse, une première réussite ?
La thèse est l’aboutissement de 8 années d’études. Il faut beaucoup de volonté et de travail pour la mener à bien. C’est une fierté mais cela m’a surtout convaincue dans mes envies et permis de mieux me connaître. J’ai approfondi mon domaine sur l’oxydation à haute température et les matériaux metalliques, appliqué à une de mes passions : l’aéronautique. Le doctorat ne représente pas uniquement des activités scientifiques. Il permet de s’épanouir personnellement et professionnellement. Pour ma part, j’ai eu la chance de partager ma passion des sciences avec le grand public et avec mes pairs au cours de conférences. Je veux aussi saluer mes parents et ma famille. En me laissant faire ce que j’aime et par leur soutien permanent, ils m’ont permis de réussir, de m’accomplir.
Qu’avez-vous découvert ?
J’ai travaillé sur un des enjeux de l’aéronautique : la durabilité des matériaux. J’ai mené des expérimentations de résistance à très haute température d’un nouveau revêtement métallique pour les aubes de turbines haute pression des moteurs d’avion, avec pour objectif de modéliser et prévoir la durée de vie de ces pièces. Avoir finalisé cette étude est gratifiant, car elle ouvre les portes à de nouveaux sujets de recherche et à une future application industrielle. Le prix tient compte de l’ensemble du dossier académique, de l’aspect innovant du sujet de recherche, de mes publications et de mes participations à des conférences internationales.
Que représente ce prix ?
C’est ma directrice de thèse, elle-même lauréate de ce prix, qui m’a convaincue de présenter mes travaux. Se dire que je fais partie des 35 femmes distinguées dans le monde, que mon « petit » sujet de thèse permet de faire rayonner le laboratoire Cirimat, c’est merveilleux. Je considère ce prix tel un tremplin. J’ai créé un nouveau réseau. La bourse m’aide pour financer mon post-doc à Madrid. Cette expérience à l’étranger est un atout dans la carrière scientifique. Je crois que j’ai réussi à bâtir de solides fondations. Car ma vie ne fait que commencer !
« Ma plus belle réussite ? Avoir contribué à créer des emplois ! »
Claude Berrou, enseignant-chercheur en électronique et informatique à Télécom Bretagne (Institut Mines-Télécom). Membre de l’Académie des sciences, il a reçu le prix Marconi 2005, distinction internationale des télécoms en tant que co-inventeur des turbocodes, une méthode de codage révolutionnaire pour les transmissions numériques.
Comment concevez-vous la réussite ?
Pour être franc, je suis incapable de définir la réussite. Si les critères principaux sont la reconnaissance par les pairs et la sérénité, alors oui, je pense avoir bien progressé dans mes différents parcours. Mais alors pourquoi les questions et les doutes sont-ils à la fin de ma carrière, cent fois plus nombreux qu’à mes débuts ?
Existe-t-il des leviers communs à « ceux qui réussissent » dans le domaine scientifique ?
Parmi toutes les qualités nécessaires, la persévérance occupe l’une des toutes premières places. De ce point de vue, le breton particulièrement entêté que je suis avait peut-être un avantage sur ses collègues. Une autre qualité importante est bien sûr l’enthousiasme, sans lequel tout effort de recherche risque de devenir routine.
Quelle est votre plus belle réussite ?
Ce que je mets en avant, c’est surtout d’avoir contribué à créer des emplois. Je me demande si cela ne devrait pas être, au moins dans les disciplines scientifiques liées aux nouvelles technologies, un objectif majeur pour tout chercheur du secteur public. En tant que citoyen, je suis attentif aux retours sur investissement public.
Que représente le prix Marconi ?
Il fut décerné à Sergey Brin, l’un des créateurs de Google, en 2004. Imaginez ma surprise lorsque j’ai appris qu’il allait m’être attribué en 2005 ! Cette reconnaissance fut certes une étape importante car elle m’a ouvert de nouveaux horizons et offert de nouvelles relations, mais ce fut loin d’être une fin en soi.
Avez-vous imaginé ou même construit votre parcours ?
Mon parcours est atypique. Je n’étais pas un spécialiste du codage quand j’ai inventé les turbocodes. Je ne connaissais même pas la
fameuse « limite de Shannon » que je fus pourtant le premier à toucher du doigt. Cela m’a convaincu de l’intérêt de l’interdisciplinarité et de la recherche par analogie.
« La réussite académique m’a donné la liberté et le temps de choisir ma voie. »
Laura Bernard, doctorante à l’Institut d’astrophysique de Paris UPMC/CNRS, lauréate d’une bourse L’Oréal-UNESCO Pour les femmes et la science 2015, étudie l’univers. Ses résultats pourront être utilisés pour développer des détecteurs d’ondes gravitationnelles.
« “Réussir sa vie” est pour moi un concept un peu flou qui englobe différents aspects. Je ne pense pas que la réussite puisse se programmer. Elle se construit plutôt petit à petit par l’expérience, en apprenant de ses erreurs, à se connaître, à savoir ce que l’on veut et en s’en donnant les moyens.
Dans mon cas, la réussite académique m’a donné la liberté et le temps de choisir ma voie. J’ai eu une sorte de coup de foudre pour la théorie de la relativité générale d’Einstein (qui décrit la force gravitationnelle). Je devrais soutenir ma thèse dans ce domaine en juin 2016. Ma carrière scientifique n’en est donc qu’à ses prémisses.
La bourse l’Oréal-UNESCO est une première réussite professionnelle et représente une première reconnaissance de mes travaux de recherche. En distinguant mes travaux, elle va me permettre de voyager dans des laboratoires étrangers et ainsi d’engager de nouvelles collaborations. Je considère donc cette bourse comme un tremplin, qui peut lancer ma carrière scientifique.
Un autre aspect de cette bourse qui me tient à cœur est le fait qu’elle me donne l’occasion d’aller à la rencontre de lycéens et lycéennes. Il est important pour moi de transmettre mon expérience sur les joies et les difficultés de longues études. Je souhaite encourager les jeunes à faire ce qu’ils veulent dans la vie sans se censurer, et notamment à se lancer dans les sciences.
Enfin, je pense que la réussite réside surtout dans un équilibre entre la carrière professionnelle et la vie familiale et sociale. Je pratique ainsi l’athlétisme à un très bon niveau. Cela m’apporte un certain équilibre, en me permettant notamment de m’aérer l’esprit. »
42 : chacun réussit à son rythme
Nicolas Sadirac, directeur général et co-fondateur de l’Ecole 42.
Quel modèle de réussite porte l’Ecole 42 ?
La vocation de 42 est de former des informaticiens. D’une part parce qu’il y a un déficit en volume mais surtout un décalage par rapport au profil attendu par les entreprises. En France, on forme des informaticiens scientifiques alors que pour être efficaces dans un monde digital, les entreprises ont besoin de personnes capables d’inventer, de créer de nouveaux process, de collaborer.
Quel est le profil de vos élèves ?
42 ouvre ses portes aux profils peu scolaires, réfractaires au système, créatifs, qui font les choses par plaisir, qui sont dans l’invention plus que la répétition. Nous avons eu 50 000 candidats la 1ere année, ils étaient 80 000 en 2015. Nous intégrons plus de 900 élèves par piscine* à raison de 3 par an. Notre idée étant à terme d’intégrer tout au long de l’année. Nous délivrons les premiers diplômes en janvier 2016. Certains sont déjà en CDI et reviendront, ou pas, finaliser leur formation. Nous travaillons à une forme de VAE pour leur permettre d’être diplômés.
Quel est votre modèle éducatif ?
Le cursus est décloisonné et peut durer de 1 à 4 ans. Nos étudiants se révèlent chacun à leur rythme. Nous ne voulons surtout pas de parcours unique. Plutôt que comme dans un jeu vidéo, chacun au travers d’une centaine de projets menés en groupe, enrichisse son expérience, s’approprie les technologies. Il y a des projets starter conçus par 42, puis ils sont imaginés par les élèves, des partenaires, des entreprises, voire proposés spontanément par des personnes qui veulent contribuer. Ce système permet de se fixer des objectifs techniques de plus en plus complexes, d’inventer, de trouver des solutions, tout en remplissant un cahier des charges. Les groupes sont de plus en plus composés d’élèves de 42 et d’autres établissements du plateau de Saclay, des beaux-arts, d’HEC, des Mines. L’interaction est essentielle en matière de créativité et préfigure la réalité de l’entreprise. Nous validons que les projets permettent toujours de développer des compétences et l’employabilité, mais les élèves s’évaluent entre pairs et il n’y a pas de cours formels.
* Processus de selection par mise en situation
« Avoir un moteur intime à sa recherche donne une motivation supplémentaire »
Laura Magro, doctorante à l’ESPCI ParisTech lauréate d’une bourse L’Oréal-UNESCO Pour les femmes et la science 2015. Elle travaille sur un dispositif de diagnostic médical en papier au sein du laboratoire Gulliver.
Quelle élève étiez-vous plus jeune ?
Bonne élève au lycée, j’ai poursuivi en prépa, en école d’ingénieurs et enfin en thèse. Un des éléments clés a été la structure familiale qui m’a encouragée (sans mauvaise pression) et m’a offert de bonnes conditions de travail et l’ouverture d’esprit nécessaire. J’ai acquis de bons réflexes de travail, de raisonnement, et l’ambition de ne pas se contenter de ce qui est directement accessible. En même temps, tout n’est pas prédestiné, c’est un cheminent qui se construit par étape.
Avez-vous le sentiment de construire votre réussite ?
Pendant mes études, je me suis investie dans des projets solidaires indépendamment de mon cursus scientifique. Je m’épanouis pleinement depuis que mon sujet de recherche est le reflet de ces engagements solidaires. C’est une opportunité que je suis allée chercher. Travailler sur un sujet qui nous tient à cœur donne une motivation supplémentaire, un moteur intime. Je crois que c’est important d’identifier ce qui nous anime et de s’en servir dans sa vie professionnelle.
Quel signifie cette bourse pour vous ?
Faire partie des 20 sélectionnées parmi plus de 800 candidates est très valorisant. C’est une très belle opportunité professionnelle : de rencontres, de mise en avant de mon sujet de recherche. Cela me redonne plus d’ambition encore. Il faut oser ! Ce prix porte un beau message sur la place de la femme dans les métiers scientifiques. On nous donne un rôle de modèle et c’est motivant pour faire encore mieux.
Votre plus belle réussite ?
Nous avions un prototype qui était encourageant et on voulait le comparer avec la réalité du terrain. Se rappeler des toutes premières expériences de laboratoire et voir ce que c’est devenu aujourd’hui et son application dans des conditions réelles, c’est une chance rare.
A.D-F