Rencontre avec Julien Roitman : « Créer l’appartenance durant les études pour susciter la fidélisation par le réseau plus tard. »

Julien Roitman, a été président de l’Association des diplômés de Supélec durant 3 ans avant de prendre la tête des Ingénieurs et Scientifiques de France (IESF) en 2010. Elle fédère 180 associations de diplômés, scientifiques et techniques ou groupements professionnels, représentant ainsi près d’un million d’ingénieurs et scientifiques. Une position de choix pour décrypter les enjeux de l’animation des réseaux d’anciens et leur apport au développement de leurs établissements.

Se consacrer aux autres
Quelles sont les raisons d’être d’une association de diplômés ?
Il y a en deux : valoriser le diplôme ; être un réseau de solidarité. Défendre l’image de son école, c’est d’abord maintenir la valeur d’un investissement de 5 ans d’études exigeantes, dans le temps. Ce travail de valorisation du nom, du prestige et du diplôme, s’exerce aussi bien en France qu’à l’international. La communauté portée par des valeurs et intérêts communs aide un des siens lorsqu’il rencontre des difficultés personnelles ou professionnelles. La solidarité est aussi intergénérationnelle, les anciens accompagnant les jeunes dans leurs réflexions professionnelles et leur entrée dans la vie active. La solidarité est donc de deux natures : financière et en consacrant du temps aux autres.
Comment concilier les préoccupations d’un jeune diplômé de 25 ans et d’un ancien de 75 ?
C’est un grand enjeu pour les associations ! L’animation des réseaux se fait d’abord par les délégués de promotion, palliant l’effet génération. Elles sont aussi rapprochées par des actions intergénérationnelles, fondées sur des échanges et conseils. Jeunes et moins jeunes se retrouvent aussi autour de sujets d’intérêts au sein des groupes professionnels, géographiques ou sociaux. Les groupes sont les points d’ancrage stratégiques entre générations.

 

Faire rimer attachement et engagement futur
A quoi « sert » une association et ses diplômés pour une école ?
L’école forme durant 5 ans l’ingénieur, elle est en quelque sorte « l’usine de production », l’association qui suit le diplômé durant 40 ans serait dans cette analogie le « SAV », le marketing. Or, dans une usine il n’est pas toujours limpide pour l’unité de production à quoi lui sert le marketing ou les ventes… Ce sur quoi peut compter l’école, c’est l’attachement de ses diplômés. Ce sentiment est la clé de voute de leur engagement futur dans un réseau, de leur volonté de redonner à l’établissement qui l’a formé, aux plus jeunes, un peu de ce qu’ils ont reçu. Cette motivation est exprimée par les anciens qui s’engagent pour parrainer des jeunes ou font des dons à leur école/fondation. La création de fondations est un phénomène récent, une version structurée de ce qui se faisait par le passé. Il y a un rapport intime entre la force de la culture de l’école et les dons. Ainsi, l’hôtel particulier de l’association des diplômés des Arts et Métiers ParisTech, a été légué par un Gadz’Art.

 

Ecoles/anciens/entreprises, le triptyque gagnant
Le feedback des anciens est aussi une ouverture sur l’économie et les emplois précieuse pour les écoles ?

Leurs retours aux écoles sur les évolutions, ce qui fonctionne ou pas, sur les orientations à prendre, est en effet essentiel pour dispenser des formations de haut niveau en prise avec les besoins des entreprises. Ces informations sont d’autant plus précieuse que les diplômés des grandes écoles sont nombreux à mener de belles carrières.
Les écoles d’ingénieurs ont-elles à apprendre des écoles de management ?
En ce qui concerne l’augmentation de nos ressources propres, oui. Nos consoeurs sont à la pointe en matière de fundraising. La réussite la plus spectaculaire étant celle d’HEC. J’ai d’ailleurs demandé aux responsables d’HEC de venir partager leurs techniques et conseils avec des présidents d’associations d’anciens. Car nos enjeux sont les mêmes : financer notre développement international, de bourses, pour la recherche, les infrastructures.
Qui dit anciens, dit entreprises, comment se profilent les relations avec elles dans la nouvelle loi sur l’enseignement supérieur ?
IESF a dit haut et fort combien il est regrettable que dans le projet, jamais le mot entreprise n’apparaisse ! Or, des relations privilégiées avec les entreprises sont un ingrédient du succès des grandes écoles et de la bonne employabilité de leurs diplômés. Elles accueillent nos élèves en stages, font du mécénat, nouent des contrats de recherche avec les laboratoires, participent à la gouvernance de certaines écoles. Elles sont les mieux placées pour dire où sont les emplois, les métiers de demain. Ce fonctionnement efficace grâce au triptyque école/diplômés/entreprises, je ne peux que le souhaiter aussi aux universités. Certaines commencent à constituer des réseaux d’anciens, à travailler avec des entreprises. IESF a noué une convention avec la CPU pour accompagner les universités qui le souhaitent à créer des associations de diplômés.

 

La communauté des ingénieurs s’organise aussi
Plus largement, IESF a pour ambition de donner corps à un sentiment d’appartenance professionnelle ?
Nous travaillons à faire entendre la voix de l’ingénieur. Pour cela la communauté doit se reconnaître, être fière d’être ingénieur, de partager des valeurs, préoccupations et priorités, de pouvoir apporter une contribution dans la société et l’économie. Nous observons un effet d’entraînement. IES F a ainsi créé la première Journée de l’Ingénieur le 18 mars lors de la Semaine de l’Industrie. Sa thématique a été fixée grâce aux retours des associations : « I ngénieur entrepreneur ». Tous les ingénieurs ont travaillé simultanément sur ce sujet partout en France. C’est le premier exemple de notre capacité à nous réunir, nous mobiliser, à prendre globalement les problèmes, à nous battre ensemble pour faire avancer les choses.

 

Il faut encore travailler au sentiment d’appartenance et à la fidélisation des diplômés
Les relations anciens/écoles doivent-elles progresser ?
C’est un enjeu que nous avons discuté avec les présidents d’associations et directeurs d’écoles. Il en ressort que ce qui fait la force d’une association, c’est l’importance de la tradition de la Maison, de l’image, de l’attachement au diplôme et du sentiment d’appartenance à une communauté. L’expérience montre que les écoles à la plus forte tradition ont les réseaux les plus puissants et nombreux (jusqu’à 3 fois plus) comme Arts et Métiers ParisTech et Polytechnique. L’attachement se joue durant la scolarité, avec un accent fort tout au long du cursus et répété, mis sur la communauté, le réseau, la valeur du diplôme…  jour et lors de la remise des diplômes, et après on s’étonne qu’elles peinent à fidéliser les diplômés… Si le directeur est convaincu de l’importance du réseau et de ses relations avec l’école, le corps professoral doit lui aussi s’impliquer dans la promotion de l’école et du diplôme auprès des élèves.

 

A. D-F

 

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