Redécouverte d’un petit chef-d’œuvre du Nouvel Hollywood

De l’influence des gamma rays sur le comportement des marguerites

Le Nouvel Hollywood, mouvement cinématographique américain s’étendant des années 1960 aux années 1980, correspondit à une redéfinition du système de production hollywoodien additionné à une synthèse esthétique des nouvelles vagues européennes. Résolument tournées vers la contreculture américaine, ces films sont essentiels tant ils ont su remplir un vide au sein du cinéma américain en donnant la parole à des personnes ordinaires (Jack Nicholson dans « Five Easy Pieces »), ou considérées comme « marginales » (les bikers de « Easy Riders »).

Les figures de proue de ce mouvement ont su par la suite osciller entre cinéma d’auteur et cinéma à vocation commerciale. Martin Scorcese, Brian De Palma, Francis Ford Coppola ou Steven Spielberg sont aussi bien capables de réaliser des films à très gros budgets aux castings de stars que des films ou projets plus novateurs, en tant que producteur ou réalisateur. Cependant, le Nouvel Hollywood, au sens large, a également donné naissance à des films plus confidentiels qui ne nous parviennent que depuis très récemment. Ainsi, après « Electra glide in blue » de James William Guercio, « Taking off » de Milos Forman, c’est « De l’influence des rayons gammas sur le comportement des marguerites » de Paul Newman qui (re)ssort sur les écrans français.

Le film
« De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites » est le troisième film de Paul Newman en tant que réalisateur. C’est sa femme Joanne Woodward, présente dans 4 de ses 5 films qui interprète le rôle principal avec une justesse telle qu’elle sera récompensée par le prix d’interprétation du Festival de Cannes 1973. Woodward est Béatrice, une veuve excentrique qui essaie de subvenir aux besoins de ses deux filles adolescentes, Matilda et Ruth. Alors que Matilda passe son temps à courir après les garçons, Ruth participe au concours de science en présentant des marguerites dont les graines ont été exposées à un rayonnement radioactif.

Comme John Casavettes avec sa femme Gena Rowlands, Paul Newman choisi un scénario susceptible de mettre en valeur le talent d’actrice de sa femme. Force est de constater qu’à la manière de Rowlands, Woodward réussit à incarner un mélange sidérant de beauté et de monstruosité, aussi bien physiquement qu’à travers ses actes et paroles.

D’ailleurs, tout le propos du film réside dans la recherche de la beauté au sein de la difformité. Et Newman de filmer le visage d’une octogénaire grabataire comme rarement au cinéma. A l’image de ces fleurs « radioactives » donnant des têtes doubles, la mutation peut entrainer un élargissement esthétique de la normalité. Dans une certaine mesure, ce film est une mise en image de la théorie de la résilience telle que définie par le psychologue Boris Cyrulnik. Pour lui, « la Résilience définit la capacité à se développer quand même, dans des environnements qui auraient dû être délabrants. »

Pourtant, les marguerites de Matilda n’ont pas obtenu le même résultat. Si certaines étaient anormalement belles sous l’effet d’un rayonnement moyen, d’autres ont vu leur développement stoppé par une trop grande exposition radioactive. Si Matilda réussit à sortir de son mutisme et à accepter son excentricité, grâce à son professeur de science, on peut redouter un destin plus triste pour Ruth, l’ainée, dont les crises d’épilepsie signalent un temps d’exposition trop poussé. Si la mère peut être vue comme l’agent mutagène, n’oublions pas qu’elle fut un temps la marguerite comme le suggère sa perruque blonde et sa balade dans les champs. Béatrice, fleur fanée avant l’heure, quand bien même elle essaie de retrouver l’éclat floral de sa jeunesse en achetant cette perruque blonde.

Rémi Bassaler pour le Bureau des Arts