S’ils faisaient encore figure d’exception il y a quelques années, les présidents d’universités médecins de formation sont aujourd’hui incontournables dans l’enseignement supérieur. Hasard de la vie ou signe d’une synergie parfaite entre ces deux métiers passion ? Ils nous en disent plus. – Par Clarisse Watine
LA TRANSMISSION AVANT TOUT
A l’image d’Alain Bonnin, Président de l’Université de Bourgogne, c’est généralement une vocation de passeur qui inspire ces professeurs en médecine à prendre la tête d’une université. « Rien ne me prédestinait à cette fonction. Je suis médecin universitaire et j’ai fait ce choix de carrière par passion de l’enseignement, pour transmettre ce que je savais », affirme-t-il. Une vocation pour l’enseignement qui n’est pas sans impacter leur façon de manager l’université. « On ne peut être professeur en médecine que si on est aussi praticien hospitalier. Nous nous inscrivons dans une démarche de formation très professionalisante faisant appel à l’apprentissage et à la transversalité, des dimensions de plus en plus présentes dans les projets de réformes de l’enseignement supérieur », ajoute Manuel Tunon de Lara, Président de l’Université de Bordeaux. Un goût pour la transmission qui se conjugue souvent avec des qualités de dialogue et de pédagogie (y compris sur des sujets très complexes) ainsi qu’avec une appétence certaine pour les projets d’intérêt général servant une cause commune.
L’ÉCOLE DE L’INTERDISCIPLINARITÉ
Une capacité à appréhender de façon didactique une grande complexité de sujets, intimement liée à la nature même des études médicales. « La médecine c’est avant tout une école professionnelle où de nombreux acteurs entrent en jeu. Elle demande une compréhension rapide des enjeux et un regard précis sur la différenciation pour construire des stratégies communes en respectant les identités de chacun », précise Alain Bonnin. Une opinion que partage le Président de l’Université de Bordeaux. « Alors que l’image de caste et d’élite qui collait à la peau de la médecine pouvait en faire autrefois un objet de crainte ou de jalousie, je suis heureux de voir que toutes les spécialités de l’Université travaillent ensemble aujourd’hui. En effet, par son imbrication profonde dans des questions sociétales et liées au progrès, la santé provoque naturellement ce besoin d’interdisciplinarité. »
MÉDECIN UN JOUR, MÉDECIN TOUJOURS !
Mais si médecine et présidence d’université partagent indéniablement de nombreux traits communs, est-il possible de tout mener de front ? « Quand je suis devenu vice-président de l’université, j’ai conservé mes responsabilités médicales de chef de service et de coordinateur du centre de ressources biologiques Ferdinand – Cabanne. Une période de grande densité que j’ai pu mener à bien grâce aux excellentes équipes qui m’accompagnaient dans ces différentes fonctions. Devenu président, il ne m’était plus possible de tout gérer. Un confrère en qui j’avais toute confiance a pris ma suite mais je continue à me rendre 2 fois par semaine à l’hôpital pour conserver ce lien très précieux qui me permet, entre autres, de développer pour l’université une vision stratégique intégrée entre santé et autres sciences », indique Alain Bonnin. Un lien que Manuel Tunon de Lara a lui aussi conservé en se ménageant 1/2 journée par semaine pour aller à la rencontre des patients de son service. Aujourd’hui président à plein temps mais médecin pour toujours, Olivier Montagne, Président de l’Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) ajoute avec passion et conviction, « si j’ai devant moi assez de challenges pour ne pas sentir de frustration majeure à ne plus exercer la médecine à l’hôpital, je reste médecin dans l’âme ».
UN AUTRE REGARD
Et qu’ils continuent ou non à exercer une activité hospitalière, tous ces présidents en sont convaincus, leur background influence de façon certaine les managers de l’enseignement supérieur qu’ils sont devenus. D’abord dans leur façon de travailler en équipe. « Les études de médecine c’est de l’apprentissage et du compagnonnage : dès la 4è année, on se retrouve en mi-temps sur le terrain, où on apprend à travailler en équipe et dans la diversité », indique Olivier Montagne.
Dans leur manière d’interagir avec toutes les parties prenantes de l’université ensuite, imprégnée de cette « base éthique très forte mêlant bienveillance, respect de l’autre et de son autonomie », ajoute-t-il. Dans leur capacité à trancher, enfin, car « prendre des décisions difficiles et les assumer c’est le propre du médecin ! » affirme Manuel Tunon de Lara.
Un background qui encourage également à développer des sensibilités particulières pour des sujets liés à l’intérêt général et au progrès. « En tant qu’ancien chef de service du laboratoire de parasitologie et mycologie au CHU de Dijon, je suis très attentif aux questions d’hygiène et de sécurité et notamment de traitement de l’air. De même, la question du transfert de technologies résonne en moi de façon particulière. En effet, en tant que médecin, je vois en toute recherche fondamentale le soin qui peut en découler. Je retiens également de mes relations avec les patients des qualités d’écoute, de dialogue et d’empathie naturelle qui me sont très utiles dans l’exercice de mon mandat » affirme Alain Bonnin.
Olivier Montagne retient quant à lui la résonnance de la question de responsabilité sociale dans ses fonctions de médecin et de président d’université. « Tout comme un CHU est une structure publique ancrée sur son territoire, l’Université entretient une forte relation de proximité et d’attractivité avec son territoire. En proposant une formation allant du DUT à la thèse et à la direction de recherche, elle a pour objectif de donner à tous la possibilité de suivre une formation en lien bien sûr avec une recherche d’excellence en France et dans le monde, mais aussi en lien étroit avec le tissu socioéconomique de son territoire. »
EUX AUSSI ONT CONNU LES BANCS DE LA FAC DE MÉDECINE
Olivier Laboux, Président de l’Université de Nantes, Doyen de la Faculté de chirurgie dentaire de l’Université de Nantes, Directeur du Pôle odontologie du CHU de Nantes.
Yvon Berland, Président d’Aix-Marseille Université, Chef du Centre de néphrologie et de transplantation rénale et du Pôle Uro-Néphrologie au CHU de Marseille.
Jean Chambaz, Président de l’UPMC, professeur de biologie cellulaire, ancien Chef de service de biochimie endocrinienne à la Pitié-Salpêtrière, créateur d’une unite mixte de recherché dans le domaine du métabolisme et de la différenciation intestinale Et bien d’autres encore…
DES PROJETS INNOVANTS IMPULSÉS SUR LE HANDICAP
A l’Université de Bourgogne. L’UFR des sciences du sport a développé en partenariat avec le laboratoire de recherche cardiovasculaire de Boston un programme qui a donné naissance à un rameur révolutionnaire. Celui-ci permet aux patients souffrant de problèmes neuromusculaires (causés par la sclérose en plaques ou une tétraplégie par exemple) de renforcer leurs quadriceps puis leurs ischio-jambiers par électrostimulation et ainsi de récupérer de la masse musculaire et de renforcer leur système cardio-respiratoire. Une technologie ayant bien sur un impact fort sur les déplacements des patients mais aussi sur leur estime de soi.
A l’Université de Bordeaux. Parce qu’ils éprouvent les mêmes besoins d’adapter leurs études, les étudiants en situation de handicap sont accompagnés au même titre et dans les mêmes conditions que les étudiants sportifs de haut niveau. Un bel exemple d’une dynamique inclusive du handicap à l’université.
A l’UPEC. Membre fondateur de la fondation FondaMental, l’université a développé une expertise pointue sur la santé mentale et les maladies psychotiques, sources de handicap et de souffrance. Elle travaille aussi en collaboration avec le Rectorat pour inciter plus de lycéens en situation de handicap à se diriger vers les études supérieures. Car si pour beaucoup elles paraissent inatteignables, ils y ont pourtant toute leur place.