
Le processus créatif et ses aspects dans le domaine technique
La créativité
Fondamentalement humaine, bien plus qu’une fonction ré-productive, la fonction créatrice permet l’émergence du « nouveau ». La nouveauté est appréciable bien entendu en fonction d’un contexte, mais la créativité sera à l’origine aussi bien d’une grande découverte scientifique que de la réalisation avec un enfant de la fameuse expérience du volcan miniature en éruption. Elle se manifeste chez l’être humain dans un état aux caractéristiques variables, pour constituer la « personne créative ». Florence Vidal (1), définit la personne créative comme « confrontée à une situation (problème, surprise, jeu, hasard) qui la motive pour entreprendre une recherche. La recherche est un processus où interviennent des aspects conscients et inconscients. Le processus de recherche débouche sur des idées qui, en prenant forme, se transforment en créations (découverte, invention, nouvelle oeuvre d’art etc.). Lorsque la création a pris une forme communicable (équation, schéma, dessin, texte descriptif), s’amorce la phase dite d’innovation. Celle-ci n’a plus pour objectif la recherche d’idées, mais l’éventuelle mise en oeuvre des idées. Cela suppose un processus décisionnel concernant stratégies et moyens. Cela signifie que l’attitude créative joue un rôle essentiel dans l’amont de la démarche qui conduit à la production d’idées. Celle-ci doit être abondante. C’est en effet à partir d’un choix, fait à partir d’une multiplicité d’idées, qu’une ou deux d’entre elles pourront être retenues, puis développées, au moyen d’une mobilisation de moyens et d’acteurs souvent différents de ceux qui ont participé à la phase purement créative. »
Créativité et technique
Dans pratiquement toute activité transformatrice humaine se manifeste la créativité, de la fonction primordiale de la préparation des aliments, à la plus haute abstraction mathématique. Le dialogue transdisciplinaire montre à quel point les processus réellement créatifs sont partagés. Interrogeant compositeurs de musique ou inventeurs, mathématiciens ou designers, on vous dit souvent que telle idée nouvelle est venue pendant la nuit, ou d’un moment où l’attention ne se portait pas sur le sujet de la création. Le processus tient une part indéniable dont la source est dans l’inconscient. Ensuite, c’est le travail au sein d’un cadre disciplinaire qui aboutit technique la créativité consiste en « l’invention d’une méthode ou d’un objet nouveau… la découverte de nouveaux champs d’applications pour un objet ou une méthode connus, l’amélioration d’un aspect d’un objet ou d’une méthode. » Il s’agit bien là du domaine de l’ingénieur, méthodes et objets qui apportent services et fonctionnalités, à distinguer de celui du (pur ?) scientifique, concepts, relations et principes, qui apportent le savoir.
L’ingénieur , ses fonctions , et la créativité
Les métiers, les services
Recherche, développement, conception, calcul, études, méthodes, conception, gestion de projet, achats, production, sécurité, les services typiques où l’ingénieur trouve l’essentiel de son activité, sont par essence des organisations où la créativité est recherchée. Car elle est porteuse de l’évolution que l’organisation (entreprise, état, collectivité…) où l’ingénieur exerce, peut espérer. Que l’objectif soit un nouveau produit, une réduction des coûts, le respect d’une réglementation, l’optimisation d’un processus, la maximisation des gains, la créativité, et tout particulièrement celle de l’ingénieur, conditionne à plus ou moins long terme l’avenir de l’organisation. Entre temps c’est le savoir-faire, méthodes et techniques de l’ingénieur, qui assurent, entre deux inventions, la précision des calculs, la qualité des processus, les caractéristiques des produits, bref l’activité et la raison d’être de ces organismes. Comme si à la fois l’ingénieur était le détenteur du savoir-faire traditionnel ou établi, et le missionnaire du changement nécessaire de son activité.
Pas d’ingénieur sans créativité
Peut-on alors imaginer un ingénieur dont on n’espérerait pas la capacité à innover, à exercer la fonction créative ? En quoi sa fonction différeraitelle du technicien ?
Si l’ingénieur doit connaître des techniques et des méthodes relevant du savoir-faire, on attend de lui une capacité, si ce n’est à être l’acteur de la créativité, au mois à être prêt à s’adapter à celleci en permanence. Cet état de veille vis-à-vis de son métier, la connaissance exhaustive de l’état de l’art, garantit à l’ingénieur, comme la bibliographie au chercheur, la sensibilité pour exercer sa créativité de façon pertinente. Elle le guide dans ses réflexions et lui permet de cristalliser le moment venu l’idée qui permet le progrès dans le sens souhaité. Un bon ingénieur doit donc connaître et pouvoir créer. Si la première mission est le fondement du rôle de l’école, la deuxième est trop stratégique pour la laisser au hasard de la constitution psychologique des ingénieurs. Se pose alors la question de la formation à la créativité.
La formation et la créativité
Comment former à la créativité ? Comment cultiver chez l’élève ingénieur la double facette de la rigueur dans l’application des méthodes et la sont atteints, quels outils donner à l’ingénieur pour faire connaître, tout en protégeant intellectuellement, sa créativité ?
Filières et parcours
La France se caractérise dans la formation des ingénieurs, par l’existence de parcours d’excellence où la diversité est peu pratiquée. Cela conduit à des études où souvent le diplôme est davantage recherché que les compétences qu’il est censé faire valoir. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour la créativité car on comprend qu’issue de la passion pour un métier ou pour un secteur, ou pour un objet particulier elle sera plus intense. Noyée dans la grande masse de compétences que l’ingénieur aujourd’hui est censé posséder, quelle place peut avoir la créativité si elle n’est pas motivée par un désir, une passion ? Et pourtant nos ingénieurs innovent, mais tout particulièrement dans les secteurs de « passion », automobile, aérospatial, ferroviaire, agroalimentaire… Aussi, si la situation n’est pas désespérée, l’ingénieur français publie peu, brevette peu, et crée peu d’entreprises. Comme si sa capacité créatrice ne trouvait pas toujours le chemin pour se concrétiser ou s’officialiser.
Formatage et expression propre
Toute occupée à transmettre le savoir, l’école (d’ingénieurs), ne prend pas le temps et ne se donne pas les moyens d’une pédagogie de la créativité. Touchant à l’inconscient et peu cartésienne, la capacité créatrice ne peut être enseignée. Elle peut néanmoins être développée. D’abord par des techniques, dont l’assimilation devrait faire partie de tout cursus d’ingénieur. Ensuite par l’immersion au sein de projets, c’est à dire l’expérience de devoir répondre à un objectif dans un environnement contraint, mais dont l’issue n’est ni connue, ni certaine, ni unique. Bref, tout le contraire d’un exercice de TD ou d’un examen tel qu’on le pratique dans nos bonnes vieilles écoles. Il n’y a qu’à comparer l’énergie qu’un élève ingénieur peut déployer au sein d’un « challenge étudiant » à celle qu’il affecte en cours magistral, pour comprendre que l’ingénieur tel que nous le concevons naît des compétences qu’il se donne parce qu’il doit atteindre un objectif animé par sa passion. Alors il est créatif.
Pourquoi ne pas, alors, inverser l’ordre des choses ?
D’abord la passion, nous laissons nos étudiants seuls dans un premier temps créer, imaginer l’objet de leur passion, voiture, avion, fusée, robot… Le temps est compté, le budget inexistant, le groupe divers, l’objectif flou. Mais les envies convergent, alors vient le temps de l’organisation. Il faut gérer ; gérer le projet, le budget, les idées, les hommes. Et cela est très difficile sans méthode, l’étudiant est alors demandeur de méthodologie dans la conduite du projet et déjà à l’écoute de ce qu’un expert du domaine peut apporter. Enfin il faut réaliser, mais sans technique l’étudiant pressent que le résultat ne sera pas forcément valable. Alors il faut les méthodes pour concevoir, calculer, fabriquer, mesurer. L’étudiant vient chercher le prof ; Monsieur, vous-pouvez me montrer comment on calcule la barre de ma suspension pour qu’elle ne casse pas ? Le monde à l’envers…
(1) Florence VIDAL, Méthodes de créativité, Techniques de l’Ingénieur, A 5 210, oct. 1998
Pr. Luis Le Moyne Directeur Institut Supérieur de l’Automobile et des Transports
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