Afin de comprendre l’importance de l’enseignement du Droit du travail dans les Ecoles de Management, nous avons rencontré François Taquet (www.francois-taquet.com), Avocat, Professeur de Droit social auprès de l’IESEG, Skema Business School et l’ESCEM, auteur de l’ouvrage « le droit du travail en clair ». Editions Ellipses. Mai 2010.
Pourquoi l’enseignement du Droit du travail au sein des Ecoles de Management est-il une nécessité ?
Que les étudiants souhaitent travailler au sein d’une direction des ressources humaines ou tout simplement avoir un emploi de salarié ou encore créer leur entreprise, la connaissance du droit du travail leur sera indispensable. Certes, le but n’est pas de former des spécialistes en législation sociale. Mais, il est important que nos jeunes acquièrent un minimum de connaissances leur permettant d’avoir les premiers réflexes en la matière.
Est-il vrai que la législation du travail se révèle de plus en plus complexe ?
Malheureusement oui ! Sait-on par exemple que si une fiche de paie compte 4 lignes en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, 7 en Allemagne, ou encore 8 en Italie, elle en comporte pas moins de… 22 en France. De même, le Code du travail est passé de 600 articles en 1973 à 16 000 aujourd’hui (contre 54 articles pour le Code du travail suisse !). Sait-on également qu’il existe aujourd’hui 30 types de contrats de travail, alors que lors de la dernière campagne électorale pour les présidentielles avait été promis un contrat de travail unique… ? Et cette législation ne cesse d’évoluer !
Il est donc évident que les Ecoles de Management ont un rôle à jouer dans la diffusion de cette connaissance voire dans la mise à jour des informations qui sont données aux étudiants.
Prenons également de la loi TEPA (août 2007) sur l’exonération de charges sociales sur les heures supplémentaires. Cette loi, qui a nécessité 6 instructions et circulaires (parfois se contredisant) est devenue un véritable casse tête juridique dans les entreprises. Pour beaucoup de DRH, ce mécanisme constitue une « usine à gaz » qui fait l’objet de maints redressements lors des contrôles URSSAF…. Le problème en outre, est que le non respect des règles est sévèrement sanctionné. Il y a de cela quelques années, en 2002, François Grandazzi, membre du Conseil Economique et social avait rédigé un rapport au titre très évocateur : « le droit du travail : les dangers de son ignorance ». L’auteur expliquait sans détour la complexité de la matière (tiraillée entre de multiples sources d’origine européenne, nationale, jurisprudentielle, d’accords collectifs….) et les conséquences parfois dramatiques pour les employeurs de leur non respect.
Combien d’heures devraient être consacrées au Droit du travail ?
L’enseignant en Droit du travail que je suis en souhaiterait toujours davantage ! Mais il faut également être réaliste. Notre objectif n’est pas de former des spécialistes mais des personnes qui sauront déceler les difficultés quitte ensuite à confier le dossier à des praticiens du droit du travail. En revanche, il serait à mon avis, dangereux de supprimer tout enseignement en droit du travail ou de ne le réserver qu’à certaines filières.
A l’occasion de l’enquête que nous avons effectuée sur l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle, quelques questions juridiques nous sont logiquement venues à l’esprit…
Peut-on sanctionner ou licencier un salarié pour des faits relevant de la vie privée ?
La réponse à cette question est logiquement négative. Dans une décision récente, la cour de cassation a résumé sa position en une phrase : si, en principe, il ne peut être procédé à un licenciement pour un fait tiré de la vie privée du salarié, il en va autrement lorsque le comportement de celui- ci a créé un trouble caractérisé au sein de l’entreprise (Cass soc. 14 septembre 2010). En un mot, les faits de vie privée sont sans incidence sur le contrat de travail. Maintenant, si de ces faits découlent des troubles objectifs, ces derniers sont tout à fait sanctionnables. Prenons l’exemple du courrier adressé à un salarié ou des mails qui lui sont adressés personnellement.
L’employeur peut-il en prendre connaissance ?
Rappelons tout d’abord, s’agissant des correspondances papier, qu’il est de jurisprudence constante que les employeurs ne peuvent pas, sauf à commettre une violation de correspondance prendre connaissance des courriers adressés personnellement à leurs salariés (Cass crim.16 janvier 1992). On pouvait donc s’interroger sur la solution à adopter concernant la consultation des boites e-mail des employés par les employeurs. La cour de cassation a pris une position de principe dans l’arrêt Nikon du 2 octobre 2001 en affirmant que la protection de l’intimité de la vie privée « implique en particulier le secret des correspondances; l’employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail ». Ainsi, et dès lors que des messages sont identifiés comme « personnels » l’employeur ne peut ni les consulter ni s’en servir à l’encontre du salarié concerné.
Dernière question d’actualité : peut-on tout dire sur Facebook ?
Les propos tenus sur le réseau social ne constituent une cause de sanction que si trois conditions sont cumulativement réunies :
- Le salarié doit avoir abusé de sa liberté d’expression. N’oublions pas que seule pourrait être sanctionnée la liberté d’expression qui a pour objet de nuire à l’employeur. Ainsi, en serait-il en cas de propos diffamatoires et excessifs, de manquements à l’obligation de discrétion absolue, de dénigrement systématique de l’employeur, d’accusations mensongères, de propos injurieux etc etc
- Le réseau doit être ouvert à des amis d’amis, en un mot, avoir un caractère public
- La personne critiquée doit être nommément citée