Ciné Qua Non ESSEC
« O cinema e o espelho de um pais » (le cinéma est le miroir d’un pays). C’est du moins ce qu’affirme Carlos Diegues, l’un des grands réalisateurs du Cinema Novo, âge d’or du cinéma brésilien, mélange de néo-réalisme italien et de Nouvelle Vague française. Le cinéma est, en tout cas, pour nous, étrangers, l’un des principaux biais par lequel nous découvrons et connaissons le Brésil – connaissons ou rêvons ?
Pensez donc au dernier film dont l’action se déroule au Brésil, qui évoque le pays de près ou de loin, que vous avez vu. Samba, vues flamboyantes de Rio, de son Carnaval, de ses plages et du Corcovado, Bossa Nova ou favelas, etc. Quelques uns, au moins, de ces éléments étaient présents dans ce film, n’est-ce pas ? Car si le cinéma est un biais par lequel nous pénétrons au Brésil, peut-être nous introduit-il toujours dans un pays plus imaginaire que réel, en nous offrant un regard biaisé justement…
Tout commence, pour nous Français, en 1958, lorsque nous découvrons le pays, et en particulier sa Bossa-Nova, à travers le film de Marcel Camus, Orfeu Negro. En pleine vague « novo », Marcel Camus adapte une pièce du poète et dramaturge Vinicius de Moraes, sans doute l’un des artistes brésiliens les plus connus de notre côté de l’Atlantique, et transpose dans le Brésil de l’époque le mythe d’Orphée et d’Eurydice. Ou du moins dans ce que le film nous présente comme le Brésil de l’époque ! On assiste aux préparatifs du festival de Rio au sein d’une communauté d’habitants d’une favela idéalement perchée sur une colline surplombant la ville ; véritable Eden dont on ne peut s’empêcher d’envier les heureux habitants, qui semblent vivre dans une fête et une harmonie perpétuelle ; le tout sur fond de samba, et d’envoûtante bossa-nova composée spécialement pour le film par Tom Jobim et Luis Bonfa. Inutile de dire que cette vision du Brésil est bien éloignée de la réalité des années 50 : le pays est alors dans une phase de modernisation, d’ouverture au monde, et de développement économique ; Brasilia, sa capitale en construction, est le symbole de cette modernité. En 1958, année de sortie d’Orfeu Negro, sa victoire à la Coupe du Monde de football place le pays sous les regards du monde entier. Les favelas, elles, deviennent déjà peu à peu des lieux de misère et de violence, qui n’ont que très peu à voir avec la favela idéalisée qu’imagine Camus.
Parmi les films qui ont eu, ces dernières années, un retentissement en France, OSS 117, Rio ne répond plus, donne aussi à voir un Brésil idéalisé (et ce à dessein) – celui des cartes postales, de Rio – et tant mieux ! On ne saurait reprocher non plus au film d’animation Rio, sorti en 2011, de ne montrer pratiquement que Rio et son festival.
Et le cinéma brésilien alors ? Dans le cinema novo, qui se veut une peinture réaliste du Brésil, de son quotidien, sa paysannerie misérable, ses bidonvilles, on doit pouvoir trouver le « vrai Brésil », direz-vous. Sauf que le réalisme, poussé à son paroxysme devient symbole. Les réalisateurs « novo » comme Glauber Rocha ou Carlos Diegues s’attachent à montrer cette autre facette du Brésil, moins étincelante, dans toute sa beauté, elle est sublimée, dans la manière même dont elle est filmée. On a pu aussi reprocher à ces films une certaine dérive folklorique.
Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de dire que tous les films sur le Brésil sont pleins de clichés, absolument pas ! Mais, par les choix des images et des thématiques abordées, se dessine dans notre imaginaire un Brésil rêvé, celui de Rio ou des favelas. Sorti en 2002, La Cité de Dieu, de Fernando Meirelles, a marqué les esprits : la violence, bien réelle au Brésil, y est sublimée (par un code couleurs, par l’enchaînement des plans), d’avantage suggérée que montrée, et c’est sans doute aussi ce qui rend le film si percutant. Pas seulement la violence, mais la beauté !
Peu importe donc que les films ne reflètent pas la réalité (notion bien discutable au demeurant). Car le cinéma n’a évidemment pas pour vocation de restituer la réalité telle quelle, non pas de la montrer, mais de la révéler ; notamment en la sublimant, en rendant une idée, une impression. Et Orfeu Negro rend parfaitement la sensualité, les couleurs, le rythme et la générosité du Brésil.
Emilie Dussauge