Moines au bord du Mékong
Moines au bord du Mékong

Laos : le maître secret du Vat Nong Sikhounmuang à Luang Prabang

VOYAGE

 

Ancien protectorat français dont la capitale est Vientiane, la ville du santal, le Laos à des voisins remuants, Chine au Nord, puis Myanmar, Thaïlande, Cambodge et Vietnam à l’est sur la plus grande partie de ses frontières. Son potentiel nature est très important, magnifique jungle encore intacte emplie d’espèces de bois rares, d’ours et d’éléphants sauvages, cours d’eau nombreux dont le majestueux Mékong.

Moines au bord du Mékong
Moines au bord du Mékong

Luang Prabang, la ville aux mille pagodes
Si Vientiane est paisible, d’un charme colonial un peu désuet, Luang-Prabang, à onze heures plus au nord car la route est exécrable, surnommée la « ville aux mille pagodes », bruisse des rumeurs des monastères. Ces sanctuaires bouddhistes appartiennent au Theravada ou Petit Véhicule, la branche la plus proche de l’enseignement du Bouddha historique, puisqu’elle ne prend pas en compte les écrits postérieurs à son existence. Au XVII è siècle surtout, sous le règne du « roi soleil » du Laos, Luang Prabang vit se construire de spectaculaires monastères, tout rutilants d’or et de tuiles vernissées couvrant les toits en pagodes. Malheureusement, son intransigeance religieuse l’empêcha de surseoir à l’exécution pour adultère de son fils aîné, le prince Rajbouth. N’ayant plus d’héritier mâle en âge de régner, il s’ensuivit à sa mort une période de guerres civiles et l’éclatement du Laos en trois royaumes, celui de Champasak au sud, de Vientiane au centre et de Luang Prabang au nord. Après presque vingt ans de chaos, le petit-fils du « roi soleil » parvint à monter sur le trône et redonna quelque faste au royaume du nord, notamment en édifiant le somptueux Vat Nong Sikounmuang à la demande de son maître spirituel, le vénérable Sikoun, en 1720.

 

A l’aube, dans toute la ville, le Tak Bat ou procession des moines
Dès six heures du matin, la trentaine de moines et moinillons priant et étudiant au Vat Nong Sikounmuang, pieds nus, leurs besaces à aumônes à la main, quittent le monastère en suivant leur vénérable. Ils rejoignent les moines venus des autres monastères et tous se rendent en humble procession jusqu’au Vat Xieng Thong, temple situé dans la boucle que forme la rivière Nam Khan en rejoignant le Mékong : c’est la cérémonie du Tak Bat. Tout au long du chemin, les habitants revêtus de la traditionnelle écharpe blanche, la taka, hommes debout et femmes agenouillées, présentent aux moines dont ils ne doivent pas croiser le regard leur offrande de riz gluant, leur seule nourriture. Ici, tout Laotien bouddhiste est supposé devenir khùubaa ou moine durant au moins quelques mois de sa vie afin d’acquérir des mérites pour ses futures existences. Quant aux femmes, elles n’ont pas au Laos de monastère en propre, mais peuvent vivre dans un temple en tant que soeurs converses, à condition de se raser le crâne et de porter une robe blanche. Si la grande majorité de la population est bouddhiste et suit librement les préceptes de cette religion (le parti communiste au pouvoir n’impose aux moines qu’une brève initiation au Marxisme), dans les campagnes, on continue à pratiquer en même temps le culte des phi ou esprits. La plus visible manifestation de ce culte animiste coexistant avec le Bouddhisme est la présence, un peu partout, de « maisons des’esprits », charmants temples miniatures richement décorés, porteurs d’offrandes.

Même les étrangers peuvent participer aux prières à condition de porter l’écharpe traditionnelle
Même les étrangers peuvent participer aux prières à condition de porter l’écharpe traditionnelle

L’anniversaire du fondateur
A la mi-mars, on célèbre avec particulièrement de fastes au Vat Nong Sikounmuang la date de l’anniversaire présumé du vénérable Sikoun. Dès le retour du Tak Bat, tous s’affairent dans le monastère. On balaie le temple et sa cour, on dispose des coussins devant la statue du Bouddha, on forme des tables improvisées à l’extérieur, on court en ville chercher de nouvelles ampoules pour remplacer les défectueuses. Des femmes disposent avec art de part et d’autre du Bouddha de somptueux bouquets de fleurs tropicales ou des pyramides de fruits offerts par les fidèles. La maîtresse d’école et ses gamins plus ou moins remuants plantent devant la porte d’entrée du « sim » ou hall d’ordination un « arbre de vie » orné de multiples lumières et de petits papiers de « bons voeux ». Le son monotone du gong invite les fidèles à se rendre au monastère pour souhaiter belle vie dans l’au-delà au vénérable Sikoun, paix et prospérité à son monastère.
Les moines se sont installés dans la position du lotus face au Bouddha de la Compassion, formant plusieurs rangs de robes safran, ornées parfois de la large ceinture jaune des novices. L’un d’eux se met à psalmodier des mantra ou prières, repris en choeur par les autres moines
puis le reste de l’assistance. C’est le thêt ou prêche du vénérable ou d’un moine supérieur.
Comme toujours lors d’une cérémonie bouddhiste, on n’empêche pas les gamins de cavaler partout et même les chiens et les chats de se poursuivre. Des femmes servent bientôt à l’assistance des verres d’orangeade, car il commence en effet à faire fort chaud. Chacun entre, s’assied ou sort comme il l’entend. Les étrangers peuvent même participer aux prières, pourvu qu’ils portent une écharpe et soient bien sûr pieds nus. Toute la journée, jusqu’au coucher du soleil, les moines et les fidèles se succéderont pour réciter les mantra tandis que dans la cour, les fidèles peuvent acheter des offrandes aux moines ou disposer les leurs comme bon leur semble. Pour occuper les gamins dont l’école dépend du monastère, la jeune maîtresse commence la pêche à la ligne des souhaits de bons voeux, accompagnée de menus cadeaux. Un bonze désigne aux visiteurs un moine agenouillé en face de lui, habillé comme lui de la grande robe safran. Le vénérable Sikoun, dit-il avec respect. Ce que les étrangers au monastère avaient pris pour un moine comme les autres est en réalité une statue de cire enfermée dans un cube de verre presque invisible. Ainsi, le vénérable Sikoun préside toujours cette étrange cérémonie de son anniversaire…

 

Isaure de Saint Pierre