Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, nous apporte son éclairage sur la réforme très attendue concernant l’avenir de l’enseignement supérieur !
Quelle est votre vision personnelle de l’université du 21e siècle ?
L’université du 21e siècle sera ouverte sur son territoire, sur l’Europe et sur le monde. L’accent mis ces dernières années, notamment depuis la réforme du LMD, sur la dimension de la professionnalisation des formations, a suscité un premier mouvement d’ouverture sur le monde des entreprises. Je souhaite que les universités s’ouvrent bien plus encore, partout en France, aux écosystèmes d’innovation, aux besoins et aux attentes de la société toute entière et au monde. L’université du 21e siècle sera une université de la réussite pour tous les étudiants. Il faut d’abord mettre fin à des pratiques destructrices : laisser les bacheliers professionnels aller échouer massivement dans les licences généralistes, refuser l’accès aux IUT à trop de titulaires de bacheliers technologiques, laisser des étudiants errer sans projet d’insertion professionnelle dans des filières qui accueillent dix fois plus d’étudiants qu’il n’y a de débouchés en fin de cycle, etc. Mais il faut aussi diversifier et moderniser les pratiques pédagogiques, pour donner des chances de réussite à une plus grande diversité de profils d’étudiants : la mise à disposition des formations en ligne, le doublement des formations en alternance, la spécialisation progressive en licence, la simplification des intitulés de formations, la fluidité renforcée des parcours, sont quelques-uns des leviers les plus efficaces pour y parvenir. L’université du 21e siècle sera enfin un lieu de coopération : coopération entre les différents domaines disciplinaires au bénéfice de l’interdisciplinarité, entre les universités et les écoles, entre les laboratoires universitaires et les organismes de recherche nationaux, entre les équipes universitaires et les entreprises. Cette coopération doit être organisée par grands sites, et elle devra donner naissance à des établissements de deuxième génération, capable de rivaliser avec les plus performants en Europe et dans le monde.
«La nouvelle ambition pour la recherche repose principalement sur le principe d’ouverture, notamment sur l’Europe, la société
et l’économie.»
De quelle manière l’avez-vous intégrée à votre à votre projet de loi ?
La réussite des étudiants trouve sa place dans l’ensemble des mesures touchant aux formations : orientation des bacheliers professionnels dans les STS et des bacheliers technologiques dans les IUT, continuité entre le lycée et l’université, spécialisation progressive dans le cycle licence, rapprochement entre les CPGE et les licences universitaires, développement des enseignements numériques, de l’alternance. Et enfin nous remplaceront l’habilitation séparée de chaque diplôme par la procédure d’accréditation des établissements : une procédure plus simple, plus lisible, et plus exigeante sur la qualité de la formation proposée aux étudiants. La nouvelle ambition pour la recherche repose principalement sur le principe d’ouverture, notamment sur l’Europe, la société et l’économie. La stratégie nationale inscrite dans la loi devra se fonder sur les grands défis sociétaux du XXIe siècle, en cohérence avec le projet européen Horizon 2020. C’est l’esprit de l’agenda de la recherche France-Europe 2020 sur lequel travaillent aujourd’hui les Alliances de la recherche, qui seront bientôt rejointes par le Conseil stratégique de la recherche, prévu dans la loi. La mission de transfert est inscrite dans la loi, et fera l’objet de plusieurs mesures par ordonnance, destinées à faciliter la transition entre les découvertes de la recherche fondamentale et l’innovation économique ou sociale, pour réduire le fossé qui sépare notre 6e rang mondial pour la recherche et notre 25e rang pour l’innovation. Enfin, le principe de coopération est tout particulièrement à l’oeuvre dans les articles du projet de loi qui définissent ce que seront les regroupements territoriaux, leur stratégie, leur gouvernance, et les contrats pluriannuels de site qu’ils passeront avec l’Etat.
«L’autonomie n’est pas une aventure dans laquelle on plonge les établissements quitte à leur faire prendre tous les risques.»
Comptez-vous revenir sur le principe de l’autonomie des universités ?
L’autonomie est une belle notion, et une valeur fondatrice du monde universitaire, mais c’est d’abord un moyen pour améliorer l’efficacité et la qualité de l’enseignement et de la recherche, parce que l’autonomie implique un rapprochement entre les lieux de décision et les acteurs, et une responsabilisation accrue de toutes les parties prenantes. Or, la LRU a seulement transféré la gestion budgétaire de la masse salariale, et centralisé la gouvernance autour des présidents d’université. De plus, les transferts se sont faits sans accompagnement du changement par l’Etat, d’où la situation difficile de nombreuses universités. Ce n’est pas ma conception de l’autonomie. L’accompagnement financier, technique et politique a été défaillant : l’autonomie n’est pas une aventure dans laquelle on plonge les établissements quitte à leur faire prendre tous les risques. L’autonomie engage tout autant la responsabilité d’un Etat stratège, que celle des acteurs de terrain. J’ai décidé de transformer le sens et la méthode de l’autonomie. Les établissements sont maintenant accompagnés par les services du MESR. Ils peuvent faire appel à des ressources de diagnostic. Ils bénéficient d’analyses et d’expertises. Ils peuvent établir avec les services du ministère des plans à moyen ou long terme, pour faire évoluer leur modèle économique. Par ailleurs, la mise en place de l’accréditation pour les formations redistribue les rôles et refonde l’autonomie pédagogique et académique des universités, en distinguant d’un côté un Etat stratège qui définit et révise périodiquement une stratégie nationale, et en précisent le cadrage national des diplômes, et de l’autre, des établissements qui composent leur offre de formation et affichent des choix et des lignes de force. La réforme de l’évaluation des équipes de recherche, des formations et des établissements, qui sera portée par une nouvelle instance, le Haut Conseil de l’évaluation, va aussi dans le sens de l’autonomie, puisqu’elle donne la priorité à la mise en oeuvre d’une auto-évaluation adaptée aux stratégies et aux besoins de pilotage des établissements. Cette évaluation, qui devra être accréditée par le Haut Conseil, sera conforme aux standards internationaux.
Pour quelle raison le e-learning constitue-t-il un des vecteurs important de l’offre de formation des universités ?
D’abord parce que la mise en ligne de ressources pédagogiques et la formation par le numérique, entièrement ou partiellement à distance, ainsi que les possibilités d’interactivité qu’elles offrent, sont de véritables facteurs de réussite. La communication et les services numériques font partie du quotidien de nos étudiants, et il est inconcevable que l’on ne prenne pas appui sur cet environnement familier pour dispenser une partie des formations. C’est aussi un facteur de réussite, et d’égalité des chances, pour tous les étudiants « empêchés » que ce soit par une situation de handicap, une situation familiale ou professionnelle contraignante, ou tout autre raison. Nous prenons une initiative forte pour donner à l’enseignement numérique une impulsion nationale, avec le dispositif France Université Numérique (FUN) qui coordonnera, financera et accompagnera les projets les plus novateurs dans les établissements. Notre pays, comme tous les pays européens, sont en retard dans ce domaine. Nous nous appuierons sur les expériences réussies et les propositions d’un groupe de travail pour faire des propositions dès la rentrée.
Avez-vous des projets spécifiques concernant les grandes écoles ?
Tout au long de la préparation de la loi, j’ai été très attentive aux demandes et aux commentaires des grandes écoles. Car la réussite de ce projet de loi dépend en partie du rôle que joueront les grandes écoles. Plusieurs mesures les concernent directement et elles n’atteindront leur objectif que si les écoles apportent leurs compétences et leurs atouts dans la réforme que je propose : le rapprochement des CPGE avec les universités, avec des conventions définies ensemble, le regroupement des écoles avec les universités, dans des communautés ou par convention d’association, pour établir une stratégie coordonnée de formation et de recherche. Les grandes écoles, actuellement sous la tutelle de ministères différents, vont voir leur organisation évoluer : la définition d’une stratégie nationale d’enseignement supérieur transversale, coordonnée par mon ministère, et l’association du MESR à la tutelle de toutes les écoles qui dépendent aujourd’hui des autres départements ministériels.
Il s’agit de rapprocher sans confondre, et de faire coopérer sans fusionner. Je souhaite tout particulièrement que l’identité des écoles, qui est pour elles une véritable « marque », indispensable à leur attractivité spécifique, ne soit jamais compromise dans la mise en oeuvre de cette réforme : cette identité est une valeur, et elle doit être préservée pour participer pleinement à la dynamique des écosystèmes universitaires, ainsi qu’à la visibilité et au rayonnement international de notre enseignement supérieur et de notre recherche. C’est celle de la compétitivité par la qualité dans un développement mondial fondé sur la connaissance.
Patrick Simon