La prépa vue d’ailleurs

Alors que les critiques vont aujourd’hui bon train, quel regard les étudiants étrangers portent-ils sur la prépa ? Encore très franco-français, ce système aurait-il un avenir à l’international ?

 

Mario, originaire de Bolivie, aujourd’hui à HEC Paris

Qu’est ce qui t’a décidé à tenter la prépa en France ?
J’étais intéressé par la prépa car le système éducatif français est bien supérieur à celui de mon pays, et dans le système français, le meilleur, c’est la prépa. Si je n’avais pas été accepté en prépa, j’aurais fait une fac française, ou à défaut de ne pas avoir une bourse, une fac dans mon pays.

Comment as-tu expliqué à tes proches, amis restés chez toi, en quoi consiste la prépa ?
Ma famille ne comprend toujours pas ce que je fais ! Je leur ai dit que c’était un système de préparation intensif pour rentrer, après des examens d’excellence, dans les écoles les plus prestigieuses. Mais pour eux cela n’avait aucun sens car je n’avais pas de projet professionnel précis et que je que faisais encore de la philo et des maths.

Quelles ont été tes surprises en arrivant en prépa ?
Je pensais que ça allait être dur, mais une chose est de le penser chez soi, une autre de le vivre tous les jours. Les témoignages que j’avais de la prépa étaient lointains et abstraits. Pour être honnête, chez moi on bosse très peu, donc la prépa a été un changement brutal : j’avais l’impression d’être le seul à ne pas avoir compris le travail qu’on allait nous demander.

Comment as-tu vécu la prépa ?
Je pense que mon expérience de la prépa a été « classique », finalement. J’ai bien aimé ma classe, j’ai bossé dur, et j’ai senti que j’étais nul, comme beaucoup de gens. Mais le pire pour moi (ce que peu de gens comprenaient dans mon entourage) a été de vivre seul à 10 000 km de ma famille, de ne rentrer qu’en été et de gérer mon argent (je vivais avec une bourse), mes papiers, les complications administratives… En quelque sorte, d’être un adulte et d’être en prépa en même temps.

Que penses-tu du système prépa ? Efficace, améliorable ?
Je pense que la prépa est un système très pédagogique (les élèves sortent avec une discipline de travail incroyable!), mais il reste de la place pour l’amélioration. Surtout dans certaines prépas où on confond « travailler » et « exploiter », même si je comprends qu’il faut être dur pour motiver les élèves. De plus, les prépas où les élèves sont encadrés du début à la fin sont des prépas privées où l’on paie 9 000 euros par an, ce que je trouve injuste. Je pense aussi que c’est un système trop fermé sur lui-même : ceux qui font une prépa viennent quasiment tous de familles où les parents et grands-parents ont aussi fait une prépa, alors que pour moi c’était l’extrême inverse ; au lieu de favoriser la méritocratie, ce système est un lieu élitiste et parfois dépourvude valeurs. Je comprends un peu mieux le dur travail des personnes qui ne sont pas issues « du milieu » et qui essaient de faire une prépa : elles partent avec un désavantage qui exige un travail encore plus dur…Et avec le rythme qui est déjà très intense, cela devient parfois un peu inhumain.

 

Youssef, originaire du Maroc, aujourd’hui à Telecom ParisTech

Il existe de nombreuses prépas au Maroc… Qu’est ce qui t’as décidé à tenter la prépa en France ?
Comme j’étais dans un bon lycée, la quasi-totalité de ma classe a fait une prépa, mais je suis le seul à l’avoir faite en France. C’est la réputation des prépas françaises qui m’a avant tout attiré, où plus de moyens sont mis que dans les prépas marocaines. Quitter le foyer après dix-huit ans fait aussi partie d’une tradition familiale : ma sœur avait déjà fait sa prépa en France, ce qui m’encourageait à faire de même.

Comment as-tu vécu la prépa ?
La mentalité prépa existe aussi au Maroc, et même si j’étais dans un lycée marocain, on était déjà très habitué à la culture française, ça n’a donc pas vraiment été un choc culturel. Le plus gros changement, bien sûr, c’était de se retrouver loin de chez soi. Je trouve que c’est un système très formateur au niveau personnel : je sais que beaucoup de gens remettent en cause le système prépa, mais moi je ne vois pas grand-chose à revoir là-dessus…

 

A quand l’ouverture des prépas aux Etats-Unis ?
La prépa, un modèle exportable ? Sans aucun doute, vous répondra Philippe Heurdon, président des professeurs de prépa HEC. Voilà un an déjà que ce professeur de mathématiques au lycée Stanislas travaille à l’ouverture de la première prépa aux Etats-Unis : en partenariat avec l’université de Harley et le ministère de l’Education nationale, cette filière pourrait voir le jour à la rentrée 2013. Un projet ambitieux, s’adressant aussi bien aux Français expatriés qu’aux étudiants américains. En effet, 250 000 enfants d’expatriés français résident actuellement aux Etats-Unis : « ces étudiants ont énormément de mal à revenir au système éducatif français, car on ne compte que cinq lycées nationaux dans tout le pays… » De même, certains étudiants américains pourraient trouver un intérêt dans cette filière, qui déboucherait sur un double diplôme entre une université américaine et une grande école française – une double compétence de plus en plus valorisée dans le monde du travail… « Or, les universités américaines proposent peu de doubles diplômes à proprement parler. »Philippe Heurdon pense aussi proposer un modèle plus « américanisé », avec moins d’heures de cours, pour dégager plus de temps libre pour le travail personnel.
Un modèle expérimental qui, à terme, pourrait également faire évoluer le système français. Ce programme prendrait néanmoins en compte d’autres aspects moins positifs de la culture éducative américaine : financés par l’université de Harley, les frais de scolarité pourraient s’élever à 20 000 dollars l’année…Selon Philippe Heurdon, le modèle des prépas françaises pourrait facilement s’implanter dans d’autres pays, notamment en Inde et en Chine. A Pékin, un établissement exclusivement dédié à la préparation des concours de Centrale Pékin a déjà été ouvert, et recrute « la crème du pays ». C’est jusqu’à présent aux anciennes colonies françaises (Maghreb, Vietnam, Laos, Cambodge…) que se limite le rayonnement international des classes préparatoires. En proposant « un programme d’excellence à l’américaine exportant les outils pédagogiques français », ce projet saura-t-il populariser le modèle prépa, actuellement peu reconnu à l’international ?

 

Alizée Gau