Quel est le point commun entre Leader Price, Nivea Men, LCL, Lipton Ice Tea et Chanel ? Ces marques ont toutes parié sur une célébrité pour valoriser leur image et booster leurs ventes. Un panel de stratégies qui semble faire florès, du petit écran à la grande affiche. Une étude de l’agence Greenlight démontre pourtant que 20 % seulement des publicités recourent à une figure connue en 2011, contre 40 % en 2008. Retour sur l’utilisation parfois risquée du « celebrity marketing » et sur ses performances.
Des stratégies marketing qui ne laissent aucune place à l’improvisation
Quand le luxe pare ses produits d’une symbolique particulière grâce à l’aura de ses icônes, les produits moins éclatants gèrent la tension entre choix d’un grand nom et large bassin de consommateurs. Mince affaire. Côté faste, Rolex se paye l’image de Roger Federer. Côté faim, Jo Wilfried Tsonga prête sa bonne humeur à Kinder Bueno. Deux cibles aux antipodes, deux tennismen, deux paris réussis. Et pourtant… Zidane ou Ronaldinho, les héros millionnaires qui font leurs courses chez Leader Price en 1998 et 2006 ? Ironique. Beau succès en revanche pour l’acteur Daniel Prévost, d’une moindre notoriété, qui œuvre pour le groupe Hyper U depuis les années 1980.
Alors, où placer la barre ? Là où le véritable leader sera le produit et la célébrité son support. Délicat de croire que se ravitailler chez un hard-discount offrira le mode de vie d’un crésus du football. Etre roulé dans la farine : une idée qui rebute le consommateur. La publicité joue la carte de la crédibilité, manie l’art de fondre dans la masse des individus qui n’en font pas partie et d’en faire des » Monsieur Tout-Le-Monde « … un peu différents. Un peu mieux. Mais accessibles. Pour éveiller cette consommation psychologique, les annonceurs ont développé une nouvelle arme : l’autodérision. Impossible de couper à l’exemple Nespresso. C’est le champion du genre, la success story des stratégies publicitaires du 21e siècle. Nestlé a auditionné des dizaines de grands noms pour représenter son café. Georges Clooney ? Bonne pioche ! Ajoutez-y une touche d’humour : le sex-symbol passé à la trappe par des jeunes femmes affranchies lui préférant une capsule, il fallait oser. Sacrée couche de pommade à l’égo du consommateur. En séducteur sympathique, l’acteur fait tomber la barrière du showbiz qui semblait inflexible. Défi relevé pour Nespresso, dont le simple café est devenu un luxe accessible. Ce modèle de distanciation entre célébrité et produit star monte en puissance. Nicole Kidman et Uma Thurman se veulent démesurément séductrices pour Schweppes. Zlatan Ibrahimović, le géant du PSG, joue un Casanova devancé par un rival confiant grâce au déodorant Nivea Men. Des stratégies payantes qui mettent autant sous la lumière le produit que la star, anticipant les risques de vampirisation.
Un choix de communication à double tranchant
En matière de publicité, une célébrité trouve uniquement sa place dans la juste mesure. Gare à l’éclipse : qui pourrait dire pour quel opérateur téléphonique œuvrait Éric Cantona il y a quelques années ? Oublier la marque au profit d’un visage est un dénouement problématique. Une habile stratégie d’évitement est le slogan identifiable: » What else ? », » On partage « , » A ma guise « , » What did you expect ? « , « Alors, heureux? « … Commode de jouer aux devinettes. Moins de chance du côté des annonceurs opérant une erreur de casting, à l’instar de Chanel qui choisit Brad Pitt en représentant de Chanel n°5 et sert une publicité dépouillée. Ce numéro d’équilibriste est descendu par la critique. Violente erreur de scénario aussi pour LCL, dont le spot publicitaire avec Gad Elmaleh provoque une véritable clameur au printemps dernier. Les réseaux sociaux ont eu vite fait de relayer des parodies à foison. La réalité est limpide : une célébrité à l’affiche capte l’attention sans être un argument d’autorité. En revanche, elle porte avec elle un risque de dérive particulièrement menaçant pour les stratégies d’endorsement. Au sein du star system, les scandales abondent presque autant que les paillettes. S’associer à un nom revient à subir de plein fouet sa dégradation. Un revers essuyé par Kate Moss et le nageur Michael Phelps, qui ont perdu des contrats juteux suite à des déboires avec la cocaïne. Faire le choix d’une célébrité a donc un coût stratégique… et financier. Les cachets perçus sont astronomiques. Un tournage pour Nespresso rapporte au bas mot 5 millions de dollars à Georges Clooney, sur les 40 millions de budget publicitaire annuel. Lionel Messi, David Beckham ou Ronaldo tirent plus de 50 % de leurs revenus de contrats publicitaires. Face au plus lucratif des business, les marques ont l’obligation fréquente de signer des contrats d’exclusivité avec leurs égéries : la surexposition d’un visage augure un danger de lassitude. Un dédale administratif se dessine en amont, avec une trentaine de pages pour un contrat d’association. Jackpot pour les marques qui verront un différend porté devant la justice en aval. De quoi rebuter sérieusement les annonceurs.
Un pari risqué… qui a de l’avenir
Le scénario des grands noms dans la publicité serait-il à bout de souffle ? Kantar Media, anciennement TNS Media Intelligence, arguait sur une augmentation du nombre de publicités avec une célébrité de 1 200 en 2002 à 4 000 en 2008. La crise a fait son bout de chemin, semant derrière elle quelques coupes budgétaires. Le chiffre de Kantar Media aurait diminué de moitié en 6 ans. Un redémarrage est envisageable, mais une zone d’ombre demeure autour de l’impact réel du celebrity marketing. Efficacité n’est pas synonyme de performance : une publicité réussie se veut séduisante de prime abord, vendeuse surtout à posteriori. Sur le premier point, l’évènement curseur est incontestablement le Super Bowl, célébration sportive rameutant 115 millions d’américains devant leur poste. Comptez sur 4 millions de dollars minimum pour un spot et des spectateurs 2 fois plus susceptibles d’aimer la page Facebook des annonceurs ; ils seront 52 % à visionner de nouveau les publicités après le match. Le bilan ? Il s’établit non pas en termes de visionnages mais de partages, induisant une réaction positive du consommateur. And the winner is… l’anonymat. S’il y avait des poids lourds lors de cette édition publicitaire 2014, aucune célébrité ne figure sur le podium. La fin d’une ère ? Selon l’agence Ace Metrix, seules 12 % des publicités avec une star au casting auraient un effet levier, tandis que 20 % afficheraient des retombées négatives par effet de cannibalisation ou de polarisation. En ces temps d’hyper communication, il deviendrait impossible de berner le consommateur. Pourquoi pas. Le constat doit cependant être nuancé.
En décembre 2010, le marché d’un vernis griffé Justin Bieber rayonne : 1 million d’exemplaires écoulés en deux mois. Optic 2000 aurait augmenté ses ventes de 10 % dès sa première année d’association avec Johny Hallyday ; 30 % chez Nespresso et Georges Clooney. Le véritable risque est de faire de la publicité une finalité, un terrain de concurrence visant l’exploitation de la notoriété d’un tiers et non la création d’une envie. Sans doute faudrait-il regarder du côté des ventes et non des partages de spots pour être fixé sur les performances publicitaires du Super Bowl. Certaines stratégies se passent aisément de célébrités ; d’autres s’en serviront à bon escient. Respect des règles d’or du marketing et talent créatif restent les seuls gages de succès. Un bon acteur ne suffit pas à réaliser un bon film, mais la production peut être excellente si tous les éléments sont réunis. Il y a fort à parier que les célébrités ne déserteront pas le paysage publicitaire, d’autant que l’on observe une multiplication des stratégies d’endorsement ou de collaborations : Lady Gaga pour Polaroïd, Kate Moss pour Topshop, Joël Robuchon pour Sushi Shop… Des méthodes d’implication des stars qui séduisent le consommateur.
Manon Dubois