Il est aujourd’hui indéniable qu’une marque est porteuse de valeurs pour une entreprise, voire même qu’elle est sa principale source de création de valeurs, en particulier dans les secteurs de la grande consommation, du luxe, des biotechnologies, des médias ou des éditeurs de logiciels. Le nombre de dépôts de marques est à ce titre devenu un indicateur de la santé économique d’un secteur, ces derniers anticipant les nouveaux produits et services à venir. Il devient alors nécessaire de reporter ces actifs immatériels dans les états financiers pour donner aux actionnaires et aux investisseurs une image fidèle des sociétés. La valorisation financière des marques devient incontournable.
Chaque année le classement des entreprises sur la valeur financière de leur marque, publié par Interbrand, est attendu. En 2013, le trio de tête Apple, Google et Coca-Cola totalisait plus de 270 milliards de dollars, alors même que la valeur de ces marques n’apparaît pas dans leurs états financiers.
Les marques ont longtemps été considérées comme des non-valeurs par les analystes financiers et donc retraitées, c’est-à-dire annulées de l’actif du bilan en diminution des capitaux propres. Ce retraitement avait un sens dans une approche liquidative de la valeur d’une entreprise. La situation évolue, la SFAF, à travers la commission Immatériels, présidée par Alban Eyssette, cherche à sensibiliser les analystes financiers aux actifs immatériels, dont les marques, pour mieux apprécier le potentiel d’une entreprise dans leur analyse fondamentale. De même, la normalisation comptable, avec l’introduction des IFRS, a permis de reconnaître plus d’actifs immatériels qu’auparavant et a souligné leur caractère stratégique.
Selon la norme IAS 38 sur les immobilisations incorporelles, les marques générées en interne, même si elles sont juridiquement protégées, ne peuvent pas être comptabilisées à l’actif du bilan. En revanche, dans le cadre des regroupements d’entreprises, la norme IFRS 3 impose la reconnaissance, en tant qu’actif immatériel séparément du « goodwill », des marques de la société acquise à leur juste valeur. Cette différence de traitement comptable altère la comparabilité entre les entreprises, en particulier entre celles qui se sont développées par croissance organique et celles qui se sont développées par croissance interne. Elle peut également s’avérer pénalisante dans le cas des industries de grande consommation (agroalimentaire, textile, automobile…) ou des industries de luxe, tout particulièrement dans une optique de valorisation de la société.
La comptabilité est en fait confrontée à la question suivante : Comment peut-on valoriser objectivement une marque, d’autant plus si cette marque a été développée en interne plutôt qu’achetée à un prix déterminé ? En effet, contrairement aux actifs physiques pour lesquels la valeur est conditionnée à la propriété, c’est la façon dont le management va utiliser l’immatériel qui va créer le flux de profits économiques futurs. Un même actif immatériel peut avoir deux valeurs différentes ! Aujourd’hui, plusieurs méthodes de valorisation des marques existent et sont préconisées par les normes comptables ou la norme ISO 10668 « Evaluation d’une marque – exigences pour l’évaluation monétaire d’une marque », premier référentiel dédié à l’évaluation financière des marques. Il s’agit de (1) l’approche par le marché fondée sur des transactions comparables ; (2) l’approche par les coûts fondée sur une estimation des coûts engagés pour la création de la marque ; et (3) l’approche par les revenus fondées sur l’actualisation des revenus futurs générés par la marque. Aucune de ces méthodes de valorisation n’est totalement satisfaisante et la représentation financière des marques dans les bilans reste donc parcellaire. Les éléments à prendre en compte dans la valorisation d’une marque ne sont pas seulement financiers. Il est nécessaire de comprendre le Business Model de l’entreprise pour identifier les leviers de création de valeur. Ainsi la fidélité de la clientèle, la capacité d’innovation d’une marque sur son marché ou sa sensibilité aux prix sont des éléments importants de sa valorisation.
Par Anne Jeny-Cazavan,
Professeure et Responsable du Département Comptabilité – Contrôle de Gestion ESSEC Business School