Avec ses yeux doux et son sourire malicieux, Isaure de Saint Pierre offre un regard emprunt de candeur mais également d’audace, à l’image de ce qu’elle est : une femme qui tantôt sillonne le monde à dos de cheval, tantôt laisse passer les heures assise dans un fauteuil, à noircir d’encre ses cahiers. A l’occasion de la parution de La Kahina, son dernier livre qui retrace la vie au 7e siècle de la célèbre guerrière des Aurès, elle m’a confié son amour des voyages, de l’écriture et bien évidemment, de la lecture.
Rechercher…
Pour Isaure, tout livre commence par un travail de documentation qui dure généralement 4 à 5 mois. Pour La Kahina, elle raconte : « Il faut d’abord lire tout ce qui existe à ce sujet. » Elle explique qu’elle a « cherché dans des blogs arabes et berbères » et qu’elle a « trouvé plein de choses ». « J’ai posé des questions et on m’a répondu. » Elle croisait alors les informations « parce que quand on va sur Wikipédia et les blogs il faut tout vérifier. » Pour elle, « il faut tout contrôler sur les dates et surtout les lieux. » Mais se documenter ne suffit pas, et l’auteur puise toujours ses récits de voyages à l’autre bout du monde, où à chaque fois elle s’imprègne d’une nouvelle culture, et s’emplit l’esprit de mille nouvelles idées de romans.
« J’aime bien trouver des personnages en voyage. » D’où lui vient cette passion des voyages, justement ? « Au début quand j’étais petite je voyageais avec mon père (…) et après j’ai voulu voyager seule, plus loin et plus longtemps. » Conséquence de cette enfance passée à crapahuter ici et là : une vision personnelle et particulière de l’écriture. « Un bouquin, c’est d’abord un lieu. Il faut que je le connaisse ou qu’au moins, si c’est un pays en guerre où je ne peux pas aller, que je puisse très bien visualiser. C’est mon côté reporter ! » Elle raconte ainsi comment est née l’idée d’écrire un roman à partir de la figure historique de la Kahina : « J’en avais entendu parler une première fois lors d’un séjour en Mauritanie. Je voulais chercher d’autres choses, savoir exactement qui elle était et on m’a donné des sources lors d’un voyage au Maroc ». Le personnage principal a donc réellement existé, personnage chez qui l’on trouve d’ailleurs avec amusement, au détour des lignes, des similitudes avec notre auteur : l’animisme de l’héroïne tout d’abord, qui ne comprend pas ces guerres de religion, elle qui n’aime que le vent, les rochers, et le sable. L’éducation si particulière que la Kahina a reçu de son père ensuite, que l’on semble retrouver également dans l’histoire d’Isaure lorsqu’elle raconte amusée que son père l’a « un peu élevée comme un garçon ». Et enfin l’amour inconditionnel que la reine ressent pour le désert, tandis qu’Isaure déclare « J’ai sillonné pas mal de déserts et je trouve que c’est là que les gens sont vrais ». L’intrigue reste, elle, en revanche, bien fictive. « Cette histoire du 7e siècle c’est quand même une légende » murmure Isaure avec un petit air attendri.
… écrire…
Une fois les recherches terminées, vient pour la dame aux mille patries le temps de l’écriture. « D’abord c’est quand même un travail de solitude et ça, c’est pas facile. » Pourtant, pour se mettre à l’ouvrage, Isaure n’a pas peur de se lever tôt : « J’aime bien travailler de 6h à 12h, sans débander comme on dit, et après je suis libre pour aller à une expo, faire des recherches, … » Environ huit heures de travail par jour donc, y compris lorsqu’elle part à l’autre bout du monde. « En voyage j’emporte toujours des notes ou un chapitre à finir. J’emmène toujours du boulot avec moi. » Puis, après une longue période d’écriture, il est nécessaire pour elle de faire une pause. « Il y a un moment où l’on ne sait plus si le livre est bien ou pas. Il faut alors le faire reposer pendant environ trois mois ». Après cela, elle peut alors relire son travail afin d’éliminer ce qui n’est pas digne d’être conservé. Et tout ça en toute humilité. « On n’écrit pas des choses magnifiques dès le premier coup. (…) Il y a des trucs que j’ai abandonnés, que je n’ai même pas montrés » se souvient-elle, avant de laisser un message aux lecteurs : « Ne croyez pas qu’on soit béats d’admiration devant ce qu’on fait, ce n’est pas du tout le cas. On ne peut pas se dire écrivain comme ça du premier coup. »
… et lire
Et la lecture dans tout ça ? Isaure revient avec tendresse sur son enfance, elle qui a grandi avec un père écrivain et un grand-père historien, dans une maison où les hommes de lettres talentueux ont défilé au fil des années : Henri de Montherlant, Hervé Bazin, Henri Troyat, Antoine Blondin, etc. « J’ai vécu avec tous ces gens-là donc il me semblait qu’écrire un livre c’était le boulot de tout le monde. » se rappelle-t-elle. « C’était une enfance qui était plutôt marrante. » Puis, avec un sourire modeste : « La littérature c’était normal, je l’ai eue dans le biberon. » Et elle ajoute, avec un air de défi : « Mais évidemment ce que je préférais c’était les livres interdits. Chez ma grand-mère il y avait une énorme bibliothèque tout en haut du donjon. (…) J’adorais être là au milieu des livres, ça sentait le cuir. Il y avait des chauves souris. C’est là que j’ai commencé à aimer les vampires » (rires) « J’ai toujours lu la nuit avec une lampe de poche ou juchée dans les arbres où j’oubliais de rentrer à la maison. » Toujours paisible et satisfaite, entre deux phrases, Isaure me glisse, avec un soupçon de malice comme à son habitude : « J’ai à peu près réalisé mes rêves ce qui est sympa ». Mais la plume de cette grande rêveuse ne s’arrêtera pas de sitôt. « Maintenant je me documente sur une autre histoire en Inde » me dit-elle, avant, un peu plus tard, de m’exposer un autre projet : « Là je voudrais m’attaquer à des thrillers ».
Soyons sûrs qu’elle arrivera sans peine à faire les deux…
Claire Bouleau