Phénomène nouveau affichant une » croissance à deux chiffres « , le street art chinois exprime les contradictions de la marche forcée vers la modernité tout en affirmant une nouvelle identité urbaine.
L’identité urbaine « made in China »
La culture du graffiti atteint la scène chinoise dans les années 90, en même temps que son marché est inondé de Coca Cola et de café Starbucks. De nombreux artistes occidentaux affluent alors en Chine, nourris à l’esthétique pop du « Mao » de Warhol. C’est un » grand bond en avant » pour la scène artistique chinoise qui risque cependant de perdre sa spécificité traditionnelle dans un modernisme uniforme. Le premier streetartiste chinois, Zhang Dali, voit d’ailleurs dans cette culture » un moyen d’ouvrir le dialogue dans un pays où l’on ne s’exprime pas ; un art qui pose des questions dans un pays sans réponse « . Pékinois d’origine, il a assisté, impuissant, aux mutations de sa ville et a choisi le pinceau comme arme. En effet, le contexte social chinois renforce la demande actuelle pour un art contestataire. Ce contexte est fidèlement retranscrit à l’écran dans le dernier film de Jia Zhang- Ke, A Touch of Sin : une Chine individualiste, déformée par les réformes économiques sauvages, et dont la violence du rapport à l’argent laisse une importante population en marge, isolée. Les métropoles forment actuellement un concentré de toutes ces questions en rassemblant des populations hétérogènes, déracinées, et qui doivent s’adapter à un urbanisme démesuré. Les hutongs, quartiers traditionnels et coeur de la vie sociale, sont rasés pour construire des grands ensembles. Ces destructions sont autant de blessures dans l’identité de collages et graffitis recouvrent les ruines, pansent les blessures de ce monde en transformation. Pour les nombreux habitants qui continuent à hanter ces quartiers, la peinture permet de se réapproprier ces lieux. Le clan Kwan Yin de Beijing puise ainsi son inspiration de livres d’antiquités impériales et associe souvent à leurs graffs des éléments traditionnels et religieux pour rendre une identité aux quartiers dévastés.
De l’insolence dans une société dépolitisée
Le plus étonnant est l’attitude ambivalente de l’Etat chinois face au développement de l’art de rue. Sa première réaction a été de censurer les artistes et de prévoir de lourdes peines. Lorsque Zheng Dali a commencé, son anonymat lui avait épargné une peine de 20 ans de prison. Néanmoins, l’attitude qui prévaut aujourd’hui est d’encadrer la production artistique (à condition qu’elle ne soit pas politique), en lui dédiant des espaces. A tel point que les peintures murales deviennent un outil d’intégration pour les gouvernements locaux : dans la ville de Chongqing, le quartier de Huang Jue Ping a été entièrement repeint et attire désormais des jeunes artistes de toute l’Asie. Néanmoins, cette situation n’est pas suffisante pour la communauté underground qui se sent toujours restreinte et qui refuse qu’on lui dicte quoi penser et où peindre. Une forte concurrence s’est ainsi créée entre les villes chinoises pour déterminer laquelle est la plus dynamique. Initialement, Hong-Kong dominait la scène – notamment grâce à son artiste phare, l’excentrique Tsang Tsou Choï qui avait démocratisé la calligraphie de rue. Mais depuis sa mort en 2007, l’art hongkongais est de plus en plus aseptisé et policé : il n’y a plus d’art de rue que dans des galeries. A Pékin, au contraire, l’art provoque et ramène de l’insolence dans une société dépolitisée. Car, bien que moderne, le street-artiste suit l’idéal taoïste du Zhuangzi : un homme du peuple, qui vit dans la pauvreté mais qui refuse l’inaction et le respect aveugle aux grands de ce monde.
NOISE
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