Cyril Grunspan

FINANCE ET NUMÉRIQUE «LA NOSTALGIE CAMARADE»

Il n’y a pas un jour sans que je reçoive des témoignages totalement désabusés d’anciens banquiers. Petits ou grands, qu’ils aient fait fortune dans les années folles ou à la rue sans ressource aujourd’hui pour être arrivés trop tard dans la ruée vers l’or, global head of de tout et de rien, polytechnicien devenu «frenchy», énarque propulsé dans le top management de la banque après être passé par un cabinet ministériel… qui croît encore aux mirages de la haute finance ? – Par Cyril Grunspan, Responsable du département d’Ingénierie Financière de l’ESILV (Ecole supérieure d’ingénieurs Léonard de Vinci)

 

 

La finance a ceci qu’elle est seule capable de rassembler des stagiaires sans logement et des multi-millionnaires, côte à côte sur le même «desk» à partager les mêmes blagues de potache… Autrefois dans l’illusion ; aujourd’hui dans le désenchantement.

C’était au temps où l’on parlait d’intelligence artificielle comme on parle maintenant de registre distribué. Un temps où il y avait encore des vrais traders en chair et en os… Cela semble loin. Il s’agissait de discussions de comptoir dans des pubs le vendredi soir… On inventait des mathématiques sensées résoudre tous les problèmes. Modèles boiteux mais bien codés. L’ordinateur faisait le reste : calcul de prix et de sensibilités aux paramètres et petites optimisations au final pour valoriser au mieux son «book» comme on bombe le torse…

Au fond, rien n’a jamais justifié qu’on utilise le mouvement brownien pour modéliser les marchés financiers. Sinon, la possibilité de développer toute une littérature afin de justifier des choix d’investissement – sur le fond complètement fou. Certains y ont bien gagné…

Mais tout cela a été balayé par le «big data». A quoi sert de mener tous ces calculs puisqu’il suffit d’interroger un historique de prix et faire tourner un algorithme de statistiques prédictif ? Qui croit encore que les enfants de Black- Scholes vont donner de meilleurs résultats que les ordinateurs de Google ? Qui croit encore qu’un humain va battre Alphago ?

Et puis oui, maintenant, voilà le temps des registres distribués. Même gratte-papier à faire «du reporting» et porter des cafés, ça ne va plus payer… La chance de la banque, c’est encore de n’y rien comprendre et de pouvoir compter sur des régulateurs et hommes politiques qui n’y connaissent rien non plus. Leur chance, c’est de faire confiance à des gens totalement incompétents pour mener leur projet «blockchain». Cela ne fera que ralentir la mort de la vieille finance…

Reste les spécialistes qui se planquent dans des comités internationaux. C’est la course à l’absurde, à ceux qui vont produire les papiers les plus intransigeants envers les banques. Vous avez aimé le LCR et le NSFR ? Voici maintenant le TLAC, le «Total Loss Absorbing Capacity»… Yeah !

Les ratios réglementaires étaient fixés à 8 % ? Ils seront fixés dorénavant à 20 % ! On ne va pas pleurer sur les banques mais franchement je comprends leur désarroi. On a quand même l’impression de loin qu’il s’agit d’une compétition malsaine entre le Comité de Bâle et le Fonds de Stabilité Monétaire. Multiplication des «machins » comme dirait de Gaulle… Si seulement les gens avaient connaissance de toutes ces organisations internationales… Si seulement les gens savaient comme ils sont gouvernés…

Les meilleurs sont partis ou sur le point de le faire. Tous ceux qui avaient de réelles compétences. Ils mènent d’autres projets ailleurs. Ils sont bien vivants. Ils travaillent dans des fin’techs. Ils réinventent la finance. Ils peuvent changer l’orientation de leur société comme ils le désirent. Et puis voici aussi le temps du financement participatif et des réseaux pair à pair… On met généralement plusieurs années avant d’atteindre la sagesse. La crise n’a fait qu’accélérer chez certains une prise de conscience salutaire.

 

Alors quoi ? Faut-il toujours former des étudiants à des métiers sans avenir ?

Si j’avais plus de moyen, je ferais davantage. Je pourrais compter sur des gens lucides qui parviennent au même constat : il est nécessaire de développer une certaine recherche académique autour du bitcoin, faire venir des spécialistes, créer une revue, donner des bourses de thèse…

Mais je ne peux que modestement animer une option fin’tech dans une école d’ingénieurs. Et si vous saviez comme cela a été compliqué d’expliquer tout cela aux étudiants et de convaincre quelques-uns d’entre eux de rejoindre cette nouvelle filière…