Etienne Mougeotte : 37 ans de journalisme, et après ?

Diplômé de Sciences Po en 1962, Etienne Mougeotte a débuté sa carrière de journaliste deux ans plus tard. Après avoir laissé sa marque dans de nombreux médias, il est devenu directeur des rédactions du Figaro en 2007. A quelques jours de son départ du journal, voici un interview bilan réalisé pour le Journal des Grandes Écoles.

 

Quelles sont les grandes évolutions des médias auxquelles vous avez assisté tout au long de votre carrière ?
Il y a eu deux grandes évolutions sur une cinquantaine d’années :

–       L’arrivée de la télévision dans tous les foyers.

–       L’arrivée du numérique. Aujourd’hui l’offre médiatique est devenue absolument considérable, on est passé d’un système de médias de masse avec un émetteur unique à une situation où, grâce aux réseaux sociaux, chacun devient un média.

Peut-on parler d’une crise de la presse écrite ?
Je refuse le mot crise. Moi je parle de mutation. La presse écrite est confrontée au challenge décisif de devoir choisir entre transformer progressivement le papier en numérique ou d’avoir une double implantation sur le papier et le numérique. Ainsi, Le Figaro est devenu poids lourd de l’internet et représente désormais un groupe de presse écrite et numérique.

Comment le métier de journaliste a-t-il évolué ?
Il a connu une mutation essentielle : on était jusqu’il y a quelques temps ou un journaliste de télé, ou un journaliste de presse écrite. Aujourd’hui, on est nécessairement un journaliste de médias. Un journaliste de presse écrite est aussi un journaliste d’internet. C’est quelque chose de très difficile parce que pour internet on travaille dans le domaine de l’information continue alors que pour l’écrit on travaille sur la version bouclage. C’est tout le défi auquel sont confrontés les journalistes : être capable de gérer ces deux temporalités. Mais la déontologie de ce métier, elle, reste identique. Une information doit toujours être vérifiée, il faut faire part de ses doutes quand on en a, exprimer des points de vue qui sont différents en essayant de les retranscrire de la façon la plus précise possible, etc.

Quelles sont les qualités du journaliste idéal ?
La curiosité, le doute, la recherche de l’information à la source, le croisement des sources, et enfin, le journaliste doit être quelqu’un qui est sceptique mais qui a quand même un espoir dans les hommes et la vie, et il doit savoir conjuguer les deux. Autrement dit, il est là pour essayer de démêler le vrai du faux mais pas pour détruire et cela, c’est très compliqué. C’est très facile de jouer aux fléchettes et de tirer sur tout ce qui bouge, mais ce n’est pas l’objet du journalisme.

Comment voyez-vous l’avenir des média ?
Il est à écrire, à bâtir, à faire. La grande difficulté c’est que la révolution numérique a deux caractéristiques : elle se fait à très grande vitesse et elle permet un développement exponentiel des capacités. Donc il y a une incroyable course de vitesse pour essayer de s’adapter au progrès technologique sans être dominé, ou happé par lui. Si vous me posez la question « Restera-t-il du papier dans dix ans ? »,  je vous dis oui, sans aucun doute, mais sous quelle forme, je ne sais pas.

Vous-même possédez un compte Twitter sur lequel vous communiquez cependant très peu. Pourquoi ?
Je l’utilise avec beaucoup de parcimonie parce que je suis responsable du Figaro et que j’estime donc qu’il m’est difficile de m’exprimer à titre personnel. Par ailleurs, je pense que mes états d’âme n’ont pas grand intérêt. C’est peut-être parce que j’ai eu une longue expérience dans les médias mais j’essaie de ne pas me sur-médiatiser.

En janvier dernier, Christophe Barbier me déclarait : « Le Figaro, c’est Etienne Mougeotte. » Qu’en pensez-vous ?
Je ne suis pas d’accord. Je pense qu’un journal, c’est une équipe. Il ne doit pas uniquement s’incarner par un homme. C’est une vision ancienne, archaïque. Je crois que le temps des patrons qui savent tout, qui disent la vérité révélée, ce temps-là est passé. En revanche, je pense qu’un quotidien comme un hebdomadaire, c’est une ligne politique. Pour exister, être une marque, il faut un point de vue. Le Figaro a des opinions, il ne les cache pas, il le dit matin, midi et soir. On sait qui nous sommes. Nous essayons de ne jamais le cacher. Le plus dangereux serait que nous nous défendions d’une impartialité absolue.

Comment la ligne du Figaro a-t-elle évolué au fil des ans ?
C’est un journal qui a toujours été libéral, européen, qui croit à la liberté de pensée, d’entreprendre. Mais sur le plan des problèmes de société comme dans le domaine de l’art où il a longtemps été conservateur, il s’est beaucoup ouvert. Je déteste l’étiquette de conservateur. Je suis favorable à l’idée de conserver les valeurs mais en prenant en compte l’évolution de la société.

Votre départ de la tête du Figaro signifiera-t-il davantage sa mort ou une nouvelle naissance ?
Ni l’un ni l’autre. Le Figaro c’est 186 ans d’histoire avec un grand nombre de patrons successifs. La situation est plus forte que les hommes. Mais on peut poser sa marque. La mienne, c’est le passage au numérique.

 

Claire Bouleau
Twitter @ClaireBouleau