Un leitmotiv « innovons ! »
Dans la période économique atone que nous traversons, exacerbée depuis 2008, l’innovation suscite beaucoup d’attentes : moteur de la croissance, elle doit contribuer à la montée en gamme de nos industries et de nos services. Les rapports sont unanimes sur cette attente : rapport de Christian Blanc « Pour des écosystèmes de la croissance », rapport de Louis Gallois sur la compétitivité française, rapport Beylat-Tambourin « l’innovation, un enjeu majeur pour la France », rapport « Quelle France dans dix ans », du Commissariat général à la stratégie et à la prospective qui cite le terme « innovation » à 88 reprises ! Les réflexions proposées ne sont pas restées lettres mortes : les pôles de compétitivité favorisent les projets collaboratifs entre PME/PMI, grandes entreprises et laboratoires de recherche, les Instituts de recherche technologique élargissent le spectre des projets possibles entre ces acteurs…. Pour nos écoles, la question se pose désormais : comment projeter les ingénieurs dans de nouvelles logiques d’innovation qui resteront pertinentes à l’horizon des 40 années de leur future carrière ?
Le modèle d’innovation des Trente Glorieuses hoquète…
Des réussites emblématiques illustrent nos capacités collectives d’innovation : le coeur artificiel inventé par Carmat bat dans la poitrine de ses premiers patients. Mais dans le même temps, les limites des modèles d’innovation des Trente Glorieuses sautent aux yeux : augmenter les investissements de R&D ne garantit plus l’innovation et la production de nouveaux produits – industries automobiles pharmaceutiques, télécommunications l’ont vécu à leurs dépends – ; la chaine vertueuse entre recherche amont et recherche appliquée peut se voir concurrencée par les « innovations ascendantes » – le logiciel libre offre une belle illustration – ; la perception des limites de nos ressources encourage à penser à des innovations pour lesquelles « moins devient une possibilité » – pensons simplement au « low cost ». L’irruption de l’innovation perturbe également les organisations : le récit, désormais classique, des conséquences de l’arrivée brutale du numérique dans le monde de la photographie argentique surprend toujours nos étudiants : nos organisations sont rétives aux perturbations que crée l’innovation.
Favorisons l’expérimentation autour du triptyque : créativité-innovationentrepreneuriat/ intrapreneuriat
Observer, en miroir des constats précédents, la stratégie de nos anciens élèves entrepreneurs est intéressant : JYMEO, un comparateur de pneumatiques, poursuit sa croissance en se déployant à l’international. Après quelques années seulement, JYMEO est déjà présent dans une vingtaine de pays. Sans études de marchés préalables. Avec des coûts de déploiement très réduits, quelques centaines d’euros, pour chaque nouveau pays. Que retenir de cette expérience ? De nouvelles formes, légères, d’innovation sont possibles. Qu’on les nomme aujourd’hui « effectuation »1 , ou « Jugaad »2, ces approches nous encouragent à expérimenter, à innover de façon frugale, à construire des réseaux de partenaires. Pour nos étudiants, identifions des lieux, des temps,des prétextes à tenter l’expérience de la créativité, du plaisir d’inventer, d’expérimenter, d’entreprendre ou « d’intraprendre ». Les Ecoles des Mines et les Ecoles des Télécom animent des incubateurs ? Ils accueilleront des projets d’élèves, d’anciens élèves, de partenaires, et ce, dès l’émergence de l’idée. Nos écoles sont au coeur de campus pluridisciplinaires ? Facilitons la mixité entre étudiants, en rapprochant ingénieurs de différentes spécialités, designers et gestionnaires. A l’appel « innovons ! », répondons « expérimentation, maillage, souplesse ! ». Que par ces approches nos diplômés puissent contribuer à dessiner de nouveaux écosystèmes de croissance !
1. Sarasvathy, Saras. D. 2001. Causation and effectuation : Toward a theoretical shift from economic inevitability to entrepreneurial contingency. The Academy of Management Review.
2. L’Innovation jugaad. Redevenons ingénieux !, Navi Radjou, Jaideep Prabhu et Simone Ahuja
Par Frédéric Pallu
Directeur des Relations avec les Entreprises Ecole des Mines de Nantes
frederic.pallu@mines-nantes.fr