Depuis deux ans, l’ENA s’est engagée dans une réforme de la formation initiale qui s’appuie sur deux piliers : approche par compétences et individualisation. Le point avec Patrick Gérard, directeur de l’ENA, interview réalisée le 22 mars 2021.
Pourquoi l’ENA s’est-elle engagée dans une réforme de la formation initiale ?
D’abord, pour que la formation de nos élèves soit la plus concrète possible. Ils sont déjà tous diplômés du supérieur et se destinent à occuper, dès leur sortie de l’école, des hautes fonctions dans l’Administration. Nous devons donc leur proposer une formation moins théorique et reposant sur les compétences qui leur seront nécessaires . C’est pour cela que nous avons développé un référentiel de compétences applicable à nos nouvelles promotions dès 2021.
Quelles compétences vos élèves devront-ils maîtriser désormais ?
Ce référentiel repose sur trois piliers : « Concevoir, mettre en œuvre et évaluer les politiques publiques », « Piloter les transformations de l’action publique » et « Exercer les missions essentielles de l’État ». Un référentiel répondant à un processus d’apprentissage en lien étroit avec les impératifs et enjeux de l’action publique (transition écologique, développement du numérique, relation expertise scientifique / décision publique, lutte contre les inégalités et la pauvreté…).
Comment allez-vous les évaluer ?
Trois mises en situation individuelles et collectives, une mission collective d’audit et/ou de conseil proposée par une administration commanditaire (en lien avec l’analyse et l’évaluation d’une politique publique ou un projet de transformation) et un rapport individuel d’expertise sont prévus. Les stages occupent également une place centrale dans le parcours de nos élèves. Ils en effectuent deux : un stage international et un stage « territoire-entreprise » comprenant une mission entreprise et effectué au sein d’une PME dans leur département d’affectation.
Le concours d’entrée de l’ENA a aussi été réformé ?
A la demande du Gouvernement, nous avons en effet ouvert un 5e concours cette année. Un concours réservé à des étudiants boursiers qui auront préparé les concours de la haute fonction publique (concours externe de l’ENA, INET, Administrateur du Sénat ou de l’Assemblée…) dans nos deux classes préparatoires « Talents » de Paris et Strasbourg. Et bientôt dans une la troisième classe que nous allons créer à Nantes avec l’INET et l’Université de Nantes. A terme, 72 étudiants seront concernés par ces classes « Talents ».
De quoi faire mentir la réputation d’une école de « l’entre-soi » ?
En France, on observe clairement un rejet de la parole publique et des autorités publiques. Un rejet sans doute dû au fait que beaucoup pensent que ceux qui dirigent l’administration ne leur ressemblent pas du tout. L’objectif de ce concours est justement de permettre à plus de jeunes issus de milieux modestes d’avoir accès aux plus hautes carrières de l’Etat. Car l’ENA n’est pas une école fermée sur elle-même. Pour preuve, nous accueillons des élèves internationaux et travaillons avec des élèves d’autres institutions : INET, Ecole de Guerre (Gendarmerie Nationale, armée de Terre) et depuis, cette année, avec des ingénieurs-élèves du Corps des Mines.
Encouragez-vous les passerelles public / privé pour ces « nouveaux Enarques » ?
Je les encourage dès lors que ces passerelles répondent à des règles déontologiques strictes : on ne peut pas travailler dans une direction de Bercy pour évoluer ensuite dans une entreprise ou un cabinet d’avocats spécialisés en fiscalité. Mais alors que les carrières s’allongent, aller « s’aérer » à un moment de son parcours dans le privé peut s’avérer vertueux. Même si ce n’est pas la voie privilégiée par nos anciens élèves : 80 % restent dans le public, 20 % expérimentent le privé et seuls 10 % y restent.