Le langage et l’écriture inclusifs consistent à « inclure » le féminin dans la langue française là où, depuis le 17e siècle, les règles grammaticales nous enseignent que le masculin « l’emporte » sur le féminin.
L’écriture inclusive pour inclure…
. L’écriture inclusive se manifeste notamment par la mention systématique du genre féminin (« bonjour à toutes et tous »), l’accord des métiers et des fonctions au féminin (« madame la maire » plutôt que « madame le maire »), les accords de majorité (écrire chères étudiantes lorsqu’elles sont majoritaires dans un cours), l’usage du point médian, « citoyen.ne.s. » (à lire « citoyens et citoyennes » à l’oral), ou encore, l’utilisation de mots « neutres » (« les scientifiques » plutôt que « les chercheurs »). Cette expression du « féminin » vise, selon les défenseurs de l’écriture inclusive, à combattre les stéréotypes de genre et mettre sur un pied d’égalité les femmes et les hommes dans le langage.
… et surtout rendre visible le féminin
Car le langage reflète l’histoire et la structuration des rapports sociaux dans nos sociétés. Ainsi, pour certains linguistes et historiens (Eliane Viennot, Bernard Cerquiglini notamment), le français d’il y a 400 ans était beaucoup plus inclusif. C’est seulement à partir du 17e siècle que le français connaît ce que l’historien du langage Bernard Cerquiglini qualifie de « vague de masculinisation ». Fini, l’accord de proximité, qui accorde l’adjectif au nom le plus proche : désormais, le masculin, « genre le plus noble » selon le grammairien Dominique Bouhours, l’emporte. « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle » justifiera même son confrère Nicolas Beauzée au siècle suivant.
Mais le langage façonne également notre rapport au monde, et de nombreuses recherches (par exemple celles de Pascal Gygax, psycholinguiste) révèlent que la masculinisation de la langue « induit des représentations mentales biaisées, favorables aux hommes ». Des enfants à qui l’on enseigne les métiers « d’avocat et d’infirmière » penseront que le premier s’adresse plutôt aux hommes et le second aux femmes. C’est pourquoi les enfants ont besoin d’une visibilité du féminin dans l’apprentissage de la langue, car l’usage du masculin n’est pas perçu de manière neutre en dépit du fait que ce soit son intention.
Langage féminin : une question qui divise
Le Conseil de l’Europe avait adopté, en 2008, une recommandation visant « l’élimination du sexisme dans le langage et la promotion d’un langage reflétant le principe d’égalité entre les femmes et les hommes », qui avait ensuite été reprise et complétée dès 2015 par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dans un guide qui fait référence. La question semble légitime donc, mais elle suscite de vifs débats et critiques depuis de nombreuses années. Des réticences de l’académie française, jusqu’aux experts en éducation, en passant par la politique, l’écriture inclusive serait trop complexe, et constituerait « un barrage à la transmission de notre langue pour tous », prenant notamment l’exemple des élèves dyslexiques.
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Le véritable enjeu : attirer l’attention sur les inégalités femmes-hommes
Ainsi, ces débats ne doivent pas nous faire perdre de vue l’enjeu essentiel : l’écriture inclusive sert à attirer l’attention sur les inégalités femmes hommes, elle vise avant tout à combattre les stéréotypes sexistes et les formulations occultant le féminin, inhérentes à la langue. La « reféminisation » ou « démasculinisation » (Pascal Gygax) du langage vise donc à accompagner et soutenir les avancées de l’égalité sociale entre femmes et hommes. Cette démarche ne devrait pas être un parti pris idéologique, car de nombreuses recherches scientifiques en sciences sociales prouvent aujourd’hui l’impact positif des formes dites inclusives sur la construction identitaire des enfants et les perceptions des chances de réussite des femmes dans la société. Là réside la noble intention du langage inclusif : contribuer à la construction d’une société plus juste, plus inclusive.
L’auteur est Sabrina Tanquerel, professeur assistant en gestion des ressources humaines, développement personnel et référente égalité CGE, EM Normandie