E-commerce à Noël 2020 : ça sent pas le sapin !

Noël confiné, les pros du e-commerce n’avaient jamais osé en rêver ! Selon la dernière étude de la Févad, au 3e trimestre 2020, le e-commerce a généré 26,6 milliards € de chiffres d’affaires. De quoi largement remplir la hotte du Père Noël 5.0 ! Mais à qui profite vraiment ce boom du commerce en ligne ?

 

Au 3e trimestre 2020, ce ne sont pas moins de 452 millions de transactions en ligne qui ont été réalisées sur les sites de vente sur Internet, tous produits et services confondus. Soit 8,1 % de croissance (la plus forte de l’année), boostée par 41 millions de cyberacheteurs en France (+510 000 cyberacheteurs par rapport à 2019).

Le secteur du e-commerce devrait ainsi atteindre 110 milliards € de chiffres d’affaires à la fin de l’année 2020. Des chiffres drivés par les géants du web bien sûr, mais pas que. Si des acteurs comme Carrefour ou Fnac Darty ont vu leurs chiffres exploser, d’autres acteurs plus inattendus ont aussi tiré leur épingle du jeu. « Au UK, l’enseigne Aldi a développé un service de livraison à domicile avec Deliveroo. Après une expérimentation de cette démarche très éloignée de sa culture, la marque a annoncé sa généralisation dans 80 % de son réseau » indique Daniele Pederzoli, professeur titulaire de marketing à NEOMA BS et Directeur de la formation ECAL CORA.

Le e-commerce c’est fait pour qui ?

Alors que les moins de 30 ans étaient déjà rompus aux codes du commerce en ligne, le confinement et la fermeture des magasins ont poussé un public plus large aux portes du clic. « Le e-commerce a gagné plus ou moins 5 ans pendant les deux confinements » ajoute le professeur de NEOMA BS. Car la crise sanitaire a clairement « renforcé des comportements consommateurs émergents du grand public et des nouvelles générations, dont en premier lieu, cette volonté de voir ses besoins rapidement satisfaits, de façon simple et avec un choix très large. La crise a aussi permis de gommer certains freins importants auxquels étaient confronté le commerce en ligne, comme l’impossibilité d’inspecter ou d’essayer le produit avant achat et le paiement en ligne. Des freins largement levés par des paiements de plus en plus sécurisés et les très gros effort des e-commerçants sur leur politique de retours » note Gwarlann De Kerviler, professeur à l’IESEG.

Noël 2020 ne profitera-t-il qu’aux géants du e-commerce ? Crédit Unsplash

Le commerce de détail n’est pas mort !

Mais ce n’est pas pour autant que les consommateurs délaissent le commerce physique. « En 2019, le e-commerce représentait 10 % de l’ensemble du commerce de détail. Les chiffres de 2020 devraient être plus importants bien sûr, mais le commerce de détail est loin d’être fini et va même en profiter pour se renouveler et réinventer l’expérience d’achat » précise Valérie Sabatier, professeur en stratégie et innovation à Grenoble Ecole de Management.

Car s’il y a bien un aspect qui manque encore aux consommateurs en ligne, c’est la relation sociale. Adieu conseils du vendeur et expérience sensorielle de marque, le e-commerce manque de chaleur. « Les magasins physiques de proximité ont donc encore une vraie carte à jouer sur le développement de la dimension expérientielle et de la personnalisation. Avec une limite toutefois : le prix. Justifier un prix plus élevé en magasin demande de la transparence et un vrai effort de communication et de valorisation du point de vente et de sa qualité. Le multicanal devient alors une piste de réflexion de plus en plus pertinente pour conjuguer l’exigence de consommateurs voulant allier facilité d’achat, conseils et plaisir, avec un équilibre financièrement viable pour la marque » précise la professeur de l’IESEG.

Le Click & Collect, vraiment nouveau ?

Dans ce cadre, le désormais célèbre Click & Collect fait office de messie ! Et pourtant, il n’a rien de très nouveau. « Inauguré par Auchan en 2006 avec le Drive, il allie expérience de marque sans contact et praticité de commander sur le net, quand on le désire » indique Daniele Pederzoli. « Ses fonctionnalités se sont sophistiquées : on peut récupérer son produit très rapidement, faire transférer un produit d’un magasin à un autre, retourner un produit acheté en ligne en magasin… Les marques développent vraiment leurs outils logistiques et la formation de leurs équipes pour que le digital viennent en complément du magasin » ajoute Gwarlann De Kerviler.

Digital mais responsable 

Si le e-commerce permet donc de consommer plus vite, ne permettrait-il pas aussi de consommer mieux ? « Les gros acteurs du digital ont profité des opportunités ouvertes par la crise mais on observe, en parallèle, une prise de conscience des consommateurs poussée par des mouvements de contestation contre Amazon ou d’autres pure players », remarque Valérie Sabatier.  Pour éviter le bad buzz, « nombre de ces acteurs ont ouvert des sections dédiées aux produits français et ont accepté de déplacer le Black Friday, une démarche qui n’a été observée dans aucun autre pays. Mais le nerf de la guerre reste quand même la logistique et sur ce point Amazon conserve une large avance » constate Daniele Pederzoli.

>>>> Pour aller plus loin : A Noël 2020, le marketing met le paquet

Car les confinements ont aussi vu émerger des comportements plus éthiques et citoyens chez les consommateurs. « Ils ont besoin de donner du sens à leurs achats. Ne pas aller sur ces plateformes, des concurrentes directes des magasins physiques qui imposent leurs lois à des producteurs qui n’ont pas de magasins, devient, dans un contexte de crise économique, un moyen d’exprimer son soutien aux petits commerçants et producteurs locaux. Ainsi les marques de proximité ont-elles une carte à jouer en matière d’information et de traçabilité pour que leurs clients soient à même de reconnaitre le savoir-faire local » indique Gwarlann De Kerviler.

Black Friday : noir c’est noir ? Non, il y a encore de l’espoir !

Alors qu’en bon irréductible Gauloise la France a réussi à pousser les géants du e-commerce à décaler le Black Friday cette année, les consommateurs ne semblent pas tout à fait prêts à abandonner cette tradition qui a conquis l’Hexagone il y a quelques années seulement. Notamment parce qu’ils sont devenus adeptes de l’acquisition de matériel high tech à prix cassés, premiers produits vendus au Black Friday. Mais certains, à l’image de Valérie Sabatier, plaident pour un Black Friday  « à la française, plus juste. S’il est trop tard pour refuser en bloc le Black Friday, on peut en revanche refuser cette surconsommation liée au modèle américain. Ne pas pousser les consommateurs à acheter n’importe quoi à n’importe quel prix, alors même que certaines marques peu scrupuleuses en profitent pour gonfler leurs prix en amont afin de proposer, artificiellement, des rabais très importants. Les prix ne doivent pas être trop bradés. Une réduction de 20 à 25 % est viable, au risque sinon d’étouffer les commerçants » estime l’enseignante de Grenoble Ecole de Management.

E-commerce droit devant pour les petits commerçants ?

Dans ce cadre, la crise sanitaire ne jouerait-elle pas un rôle de booster inespéré pour la digitalisation des petits commerces ? Car une présence sur le web, même, voire surtout, pour un commerce local, c’est LE bon plan pour accroitre sa visibilité et donc à terme, son chiffre d’affaires. « Une petite librairie de quartier par exemple, ne touche pas facilement hors de sa zone directe de chalandage. Le e-commerce lui offre alors une vitrine pour recruter de nouveaux clients. Et si elle mutualise sa présence avec d’autres acteurs de son secteur sur une market place dédiée, c’est encore plus efficace. Et à moindre coût, les frais de fonctionnement étant mis en commun » précise Gwarlann De Kerviler.

Mais encore faut-il pouvoir assurer au niveau logistique. Car des consommateurs habitués à être livrés en quelques heures chronos sont-ils vraiment prêts à renoncer à leurs envies d’immédiateté pour consommer plus responsable ou local ? « Les petits commerces devront sans doute nouer des alliances avec des partenaires logistiques style UPS et exploiter les flux et les datas des grandes plateformes pour se faire connaitre et affiner leurs offres sur le web » conclut le professeur de NEOMA BS. Tout n’est donc qu’une question d’équilibre.