Nicolas Minvielle est professeur à Audencia Business School et Directeur du Mastère Spécialisé® Marketing, Design et Création. Il nous explique ce qu’est le design et comment les entreprises l’utilisent. L’occasion de tordre le coup à beaucoup d’idées reçues…
Le mot « design » est utilisé à tort et à travers, et semble souvent réduit à un simple aspect esthétique. Peut-on le définir précisément ?
Le design, c’est une stratégie de conception centrée usager. Il s’agit d’observer avec empathie l’utilisateur, et de développer son produit ou service en fonction de ses besoins réels. L’aspect esthétique en fait partie, mais on confond trop souvent le design avec l’art, sous prétexte qu’il y a une dimension graphique. Le designer fait le lien entre les différentes dimensions d’un produit ou d’un service : l’usage, le packaging, le marketing, le contrôle de gestion, l’opérationnel. C’est la seule fonction réellement transversale dans l’entreprise.
Les entreprises se sont-elles emparées du design à un moment bien précis, ou n’est-ce finalement qu’un mot devenu tendance pour désigner une pratique historique ?
En effet, le design n’est pas nouveau ! Nos chaises ont toujours été dessinées par quelqu’un ! Mais le buzz n’existe que depuis 5 ans environ, grâce notamment à l’essor du design thinking, vulgarisé dans le monde entier par l’agence américaine IDEO. C’est une méthodologie qui consiste à appliquer quelques outils du designer au service du manager, mais sans la dimension esthétique qui reste spécifique au design. Le souci, c’est qu’à force de simplifier pour démocratiser, le concept a été mal appréhendé et a généré un amalgame entre le design et le design thinking. Beaucoup pensent à tort qu’avec un cours de 3h à grand renfort de post-its, on peut faire du design. Il faut garder à l’esprit que c’est, au contraire, une démarche à long-terme et difficile. On ne parle pas d’un atelier créatif ni de buzz.
Est-ce que le design est l’apanage des grandes marques ?
Non, c’est tendance, mais finalement très banal et très répandu, de la startup à la grande multinationale ! Aëdle, par exemple, une toute jeune entreprise fondée par deux diplômés d’Audencia, a conçu un casque audio de luxe, alliant des qualités techniques très performantes et des matériaux haut de gamme. Leur succès commercial est largement dû à l’aspect esthétique du produit, grâce à la rencontre avec Eugeni Quitllet, le designer de Philippe Starck. Dès qu’une marque fait du co-branding avec un designer connu, l’effet sur les ventes est garanti.
Justement, qu’est-ce qui caractérise les collaborations entre les designers et les marques ?
C’est principalement une question de communication, car il est très rare qu’une star du design ait vraiment une proposition innovante importante en termes d’usage. La plupart du temps, c’est un travail purement esthétique. A contrario, on peut citer Nest, qui a créé un thermostat avec une proposition de valeur extrêmement simple : il suffit de tourner le seul bouton pour régler la température. Les designers ont mis un an à dessiner la vis du produit, pour qu’elle puisse s’adapter de façon universelle à tous les murs. C’est une vraie démarche design, où l’on est centré « usager » et simplicité fonctionnelle avant tout.
Quelles sont les nouvelles préoccupations du designer ?
Au départ, c’était un travail sur le produit, puis le service. Le design s’est ensuite penché sur l’expérience client et l’interface utilisateur. C’est la partie « modèle économique » que l’on voit maintenant émerger, ainsi que le « design fiction », qui fait d’ailleurs l’objet de mon dernier ouvrage, Jouer avec les futurs. L’idée, c’est que les designers peuvent aider à maquetter le futur. Par exemple, nous avions conçu un faux journal lors du dernier salon de l’agriculture, qui présentait le futur de l’agroalimentaire dans les années 2040. Ce sont des réflexions prospectives, et c’est passionnant de contribuer à créer le monde de demain !