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Déontologue de Marché : entre risques, conformité et confort

Fiche métier : le déontologue

 

Depuis la crise de 2008 les médias n’ont cessé de relayer nos interrogations mais aussi notre fascination sur éthique, normes et risques dans les métiers bancaires est devenu une préoccupation urgente, mettant au grand jour des acteurs de l’ombre : les Déontologues de Marché, de plus en plus appelés Responsables de la Conformité (RC). Ils contribuent quotidiennement à remodeler le business-as-usual de l’industrie financière et son cadre règlementaire, génèrant des enjeux pour ce métier qui occupe une place essentielle dans le processus de validation des transactions et répond à la question : « a-t-on le droit de faire cela ? »

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La pratique quotidienne du RC
En une quinzaine d’années, la profession de déontologue de marché a évolué vers la conformité, afin de se rapprocher la compliance anglo-saxonne. Elle est devenue contrôle. Les RC collaborent avec juristes et auditeurs internes pour gérer différents risques et veiller à la conformité des pratiques avec les règlementations nationales et internationales. Ils préviennent les conflits d’intérêts entre banques et clients, connaissent en profondeur ces derniers, dressent des ‘murailles de Chine’ entre les activités de la banque et celles menées pour le compte de ses clients, font des déclarations de soupçon auprès des régulateurs. Au quotidien, ils doivent faire preuve d’une double compétence particulièrement difficile à articuler : une connaissance juridique pointue des évolutions des différentes règlementations s’appliquant à l’ensemble des opérations de la banque et une finesse de compréhension des produits et opérations financières qu’ils surveillent. Cette fonction support s’apparente de plus en plus à l’analyse de risque et devient la gardienne de la production de valeur.

 

La Police des marchés financiers
Si la question de la surveillance des marchés financiers est un sujet ancien, c’est au cours des 25 dernières années que les banques ont progressivement intégré ce rôle formalisé de police interne dont parlait Max Weber. Ceci a impacté leur structure avec des départements dédiés à la Conformité, transactions. Avec la conformité, les banques se protègent elles-mêmes en évitant les impacts négatifs des risques juridiques et de réputation. Elles participent aussi de la gouvernance mondiale et protègent la réputation du système financier, par exemple en le préservant de l’économie souterraine. A la logique commerciale qui leur est propre, les banques voient s’ajouter le policing dans leur coeur de métier.

 

Paradoxes et perspectives
La crise de légitimité sociale des banques place le RC comme acteur majeur de l’avenir du secteur. Or ce métier cumule les paradoxes posant des problèmes organisationnels, voire d’identité professionnelle. Devant parfois tirer la sonnette d’alarme (whistleblowing), et dénoncer les dérives de leurs propres collègues, les RC ont un dilemme de loyauté vis-à-vis de leur propre banque. Le revers en est la sensation inconfortable de se sentir instrumentalisés pour dissimuler des pratiques non-conformes. Ils sont certes garants du respect de la loi, mais surtout praticiens du paradoxe. Au delà de devoir trancher si la banque a le droit ou non de faire ceci, c’est la question du confort d’agir qui est en jeu : peut-on (en toute conscience) le faire ? Entre confort et conformité, ils doivent guider une pratique difficile devant implémenter les objectifs déontologiques tout en restant soumis aux impératifs de profit.
L’émergence de formations spécialisées et d’associations de professionnels pointe vers une professionnalisation significative du métier qui n’est pas prête de s’essouffler. Certains y voient un signe de notre « société du risque » (U. Beck) ou « société de l’audit » (M. Power). D’autres y voient la possibilité de transformer le système de l’intérieur. Les RC ont un pouvoir de co-construction endogène de la réglementation bancaire et de navigation dans les points aveugles des lois parfois imprécises et en retard sur les pratiques. Le RC est parfois le seul, revenant à sa fonction déontologique première, à pouvoir infléchir l’action en faveur d’un ‘business propre’ dans les tensions quotidiennes d’un secteur en constante évolution.

 

Par le Dr. Mar Pérezt, Professeure dans le département Management,
Droit et Ressources Humaines et membre du Centre de Recherche OCE à EMLYON Business School