La culture d’entreprise est-elle dépassée ? Correspond-elle à ces vieux concepts que l’intelligence des contemporains a rangés au rayon des vieilleries inutiles ? On pourrait le penser au vu de la production éditoriale, on parle moins de culture et, quand c’est le cas, l’ironie est souvent de mise. Mais comme beaucoup de concepts, celui de culture s’est imposé dans les références managériales ; il est devenu tellement banal qu’il n’est plus utile de l’évoquer. Et reconnaissons que la fréquence des mentions d’un concept dans les magazines ou les réseaux sociaux n’est pas toujours le reflet fidèle de la réalité managériale. La question d’une éventuelle la « ringardise » de la culture mérite donc inventaire.
Un concept dépassé
La culture d’entreprise est certes dépassée au salon des modes managériales. En effet le management est un lieu de modes quand se succèdent les manières de regarder l’entreprise et les solutions qui s’imposent à elle. L’heure de la mode pour la culture sonnait dans les années 80 ; les livres se multipliaient alors comme les spécialistes, les colloques et les interventions de conseil ; aujourd’hui c’est la transformation numérique et l’agilité organisationnelle.
D’ailleurs rares sont les entreprises aujourd’hui qui font de leur culture un élément d’attractivité, ou alors, elles le nomment autrement pour privilégier la notion de marque ou le bien-être. Beaucoup des entreprises qui ont nourri la réflexion sur la culture ont d’ailleurs disparu, perdu de leur lustre et de leur attrait, voire se sont transformées au mépris de ce qui devait constituer leur nature profonde et inaltérable.
Mais si la culture d’entreprise paraît dépassée, c’est aussi parce que la notion met en avant les références partagées au sein d’une institution, des références communes qui préexisteraient aux personnes, voire s’imposeraient à elles : cela correspond à une anthropologie qui a beaucoup évolué depuis une trentaine d’années. Nous sommes à l’heure de l’entrepreneuriat et de l’ « intrapreneuriat » quand le travail en mode projet dans l’horizontalité de structures déhiérarchisées met plutôt en valeur l’instant et l’individu. Les émois ou questionnements provoqués dans les entreprises par ces évolutions nous amènent d’ailleurs à se demander si la culture n’a pas de beaux restes.
La culture d’entreprise, une notion à redécouvrir
En fait, dans le cercle des concepts dépassés, il y a tous ceux dont on ne parle plus car ils se sont totalement intégrés dans l’approche des questions managériales. On ne peut aller dans une entreprise sans entendre parler de ses valeurs, de ses avantages compétitifs, voire de son « ADN ». Et que dire de toutes ces entreprises qui communiquent sur leur marque employeur si ce n’est pour mettre en évidence leur particularité. Tous ces concepts supposent bien un ensemble de références collectives et partagées. La culture est peut-être dépassée parce qu’elle est devenue naturelle.
Il faut remarquer également que même si cela ne fait pas la une des magazines, les entreprises en reviennent régulièrement à se poser la question de la culture. C’est généralement dans les moments critiques, que ce soit une fusion, un retournement stratégique ou une crise de succession. On en vient alors assez normalement à s’interroger sur sa culture, exactement comme la personne s’interroge sur ses principes quand elle est confrontée aux moments critiques de l’existence.
Enfin, dire que la culture d’entreprise est dépassée, c’est admettre que les accents de la culture ne seraient plus appropriés. Or la culture évoque le temps, le temps long du développement et de la transformation des organisations ; la culture est aussi une composante de la dimension collective d’une organisation, là où on travaille en semble, on collabore. Qui pourrait dire que l’attention au collectif et au temps du développement pourrait être vraiment laissée de côté ?
Maurice Thévenet est auteur de « Culture d’Entreprise » – PUF – Que-Sais-Je ?, 1993, 2014.
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