Derby des Grandes Ecoles ESSEC
On connaît souvent des airs de musique brésilienne sans bien comprendre ce que c’est ni en réaliser l’importance dans l’histoire de la musique d’aujourd’hui mais aussi dans l’histoire du peuple brésilien.

L’histoire de la musique et en particulier de la musique populaire d’un pays est particulièrement révélatrice de l’histoire de sa population. Lorsqu’on est un tant soit peu mélomane, c’est donc un véritable plaisir de se pencher sur les rythmes qui ont bercé toute une nation. C’est particulièrement vrai pour le Brésil, pays dont l’on entend souvent parler à cause des frasques de son président, Lula, et pour ses particularités économiques. Mais, si l’on dépasse les simples enjeux de la mondialisation, on découvre une culture très complexe, très différente du reste du continent sud américain. Passer au-delà de la barrière de la « culture latino » permet de mieux appréhender les particularités de ce grand pays. J’ai toujours associé la superbe chanson The Girl From Ipanema de João Gilberto au Brésil. Pour moi, évoquer l’un, c’est penser à l’autre. J’ai l’image d’une femme que l’on ne voit que de dos qui dessine devant moi. Le mystère et la sensualité se confondent dans cette hymne à l’amour. Si cette chanson est l’une des plus écoutées dans le monde, ce n’est pas pour rien. João Gilberto est l’un des fondateurs des rythmes de la Bossa Nova qui ont ensuite bercé le monde entier. Ces rythmes envoûtants ne sont pas nés de nulle part. Ils sont dans la lignée directe des nombreux mouvements musicaux du Brésil. Ces différents mouvements sont le fruit de la rencontre entre de nombreuses cultures à partir du XVe siècle au Brésil.
L’arrivée des colons et ensuite des premiers esclaves a favorisé ce mélange des styles. La Capoeira, danse de combat célèbre, en est un exemple particulièrement marquant. Elle est le fruit de la rencontre entre certaines cultures amérindiennes survivantes, celle des esclaves, en particulier ceux originaires du Sénégal et de la savate française, sport de combat très populaire en Europe à l’époque. Entrainés par les rythmes des percussions, les danseurs s’affrontent et expriment leurs souhaits de révolte. Selon les rythmes joués, les joueurs adoptent des positions et des schémas différents. Le rythme est donc au centre de la joute. Ce mode d’expression a été fortement réprimé par les Portugais, persuadés qu’il s’agissait de la part des esclaves de la préparation d’une rébellion. Les danseurs pris sur le fait étaient systématiquement exécutés et leurs spectateurs largement réprimés. Cette musique est donc restée jusqu’à aujourd’hui, un symbole de la résistance à l’esclavage et un appel à la liberté des peuples. Elle est aujourd’hui célébrée dans le monde entier. Elle participe également au rayonnement culturel du Brésil en montrant la capacité du peuple à révéler, puis à sublimer par la danse et la musique, ses souffrances et ses revendications.
Cette prédominance rythmique est la marque que la musique brésilienne est au carrefour entre les cultures européennes, amérindiennes et africaines. Au Brésil où les peuples sont nombreux et très différents, la musique est un moyen d’expression et de revendication de son identité culturelle. João Gilberto et les premiers précurseurs de la Bossa Nova ont travaillé à faire la jointure entre différentes musiques populaires brésiliennes et les rythmes du cool jazz américain, plébiscité par les couches plus aisées de la population. Plus sensuelle et beaucoup plus romantique que la Samba, la Bossa Nova a eu un succès immédiat, autant au Brésil que dans le monde entier. Cette musique, qui exprime avec beaucoup de talent la lascivité de certaines relations humaines, a convaincu des millions de personnes de la capacité des rythmes brésiliens, si particuliers, à représenter la complexité des sentiments humains tout en piochant dans les autres cultures les outils de sa diversification.
C’est la preuve à mes yeux que cette musique a encore de longs jours devant elle. Elle évolue au fil du temps, et accompagne ainsi les changements culturels des peuples du Brésil. Elle s’adapte et s’enrichit au fil des contacts qu’elle a avec d’autres contrées du monde et d’autres interprétations musicales. Et elle participe à la construction d’une image très particulière du Brésil, mélancolique et sensuelle aux yeux et surtout aux oreilles des mélomanes du monde entier.
Flora Wolfer