Ce que veulent les Chinois

LE MARKETING ET LA CONQUÊTE DE NOUVEAUX MARCHÉS

 

La Chine, un marché porteur ? « Un marché difficile », vous répondra Béatrice d’Estienne d’Orves, responsable du développement Franco-Chinois pour le Groupe 8 Complus. Avec une classe moyenne de 300 millions d’habitants, le marché chinois continue à faire rêver bon nombre d’entreprises. Pourtant, l’implantation en Chine reste coûteuse et délicate : « les Chinois n’ont pas besoin de nous ; ils sont déjà sollicités de toute part par les entreprises étrangères. Pour réussir en Chine, l’image “made in occident“ ne suffit pas : il faut apporter quelque chose de nouveau. » Dans ce pays où la curiosité pour l’Occident se mêle à un fort sentiment de fierté nationale, parvenir à sortir du lot tout en s’adaptant à la culture locale n’est pas chose facile…

L’ajustement Est-Ouest
« Ce qui distingue le consommateur chinois du consommateur occidental, c’est d’abord l’importance accordée à la marque : en Chine plus qu’ailleurs, il est difficile de s’implanter si l’entreprise est méconnue. Les Chinois sont des consommateurs assez curieux qui s’intéressent à l’histoire de la marque ; d’où le succès d’entreprises comme Hermès, par exemple… » Béatrice d’Estienne d’Orves parle en connaissance de cause : pendant son séjour de 5 ans en Chine, elle a d’abord travaillé pour Yves Rocher lors de son implantation sur place, avant de rejoindre la Chambre de Commerce et d’Industrie française en Chine. Dans le cadre de son travail chez Groupe 8 Complus, elle conseille aujourd’hui les entreprises françaises songeant à s’exporter et communiquer en Chine. D’après elle, le milieu de gamme intéresse de plus en plus la classe moyenne montante du pays : « Lorsqu’Yves Rocher s’est implanté en Chine, raconte-t-elle, nous avons dû changer de positionnement prix et monter en gamme pour intéresser les Chinois. Nous avons adapté certains produits, comme par exemple les crèmes blanchissantes, beaucoup utilisées par les femmes chinoises. Il nous a aussi fallu viser une cible plus jeune : en Chine, les femmes de 50 ou 60 ans se maquillent assez peu. » D’après Béatrice d’Estienne d’Orves, l’explication remonterait à la Révolution Culturelle, période durant laquelle le maquillage était interdit. Pendant toute une époque, les filles n’ont donc pas pris modèle sur leur mère pour se maquiller. L’Oréal, fortement implanté en Chine depuis les années 90, aurait eu une influence substantielle en proposant ses nouveaux critères de beauté. « La Révolution Culturelle a sûrement tiré un trait sur beaucoup de choses », atteste Béatrice d’Estienne d’Orves. En cosmétique comme en prêt à porter, les entreprises ciblent donc une clientèle plus jeune, entre 18 et 40 ans. Une autre transformation difficile mais nécessaire passe aussi par la traduction de son nom de marque en chinois : ce travail suppose de trouver un nom évoquant à la fois les valeurs de la marque tout en restant phonétiquement proche du nom d’origine. Dans le cas d’Yves Rocher, la traduction chinoise, « Yifu.Lixue », associe les mots « Neige » et « Paris »… Un choix stratégique, étant donné que l’entreprise est d’origine bretonne ! « La difficulté est de trouver un juste milieu : il faut s’adapter, mais pas trop, au risque de perdre son identité de marque… »

 

Un marché à prendre avec des baguettes
« Il y a eu toute une période où la Chine était considérée comme un eldorado : mais se développer en Chine est coûteux ; toutes les PME ne peuvent pas se le permettre », rappelle Béatrice d’Estienne d’Orves. En effet, de nombreuses contraintes légales et administratives rendent parfois difficile l’exportation de produits en Chine. En cosmétique, par exemple, tous les articles doivent être testés et homologués avant commercialisation ; une démarche coûteuse pouvant parfois prendre plusieurs années… Sans parler de certains produits culturels fortement censurés. Une autre difficulté consiste à se faire connaître. La concurrence étrangère est déjà rude : « Certaines marques sont arrivées très tôt, dès les années 90. Elles ont réussi à s’implanter avant que le marché ne soit mûr, et en récoltent aujourd’hui les fruits… » Après avoir racheté plusieurs marques chinoises, l’Oréal est notamment parvenu à se positionner en situation de quasi-monopole. A cela s’ajoute le développement croissant des concurrents locaux : autrefois tournés vers un Occident aujourd’hui en crise, ces derniers s’intéressent à présent au marché chinois, boosté par l’augmentation du pouvoir d’achat. De fait, les Chinois sont donc sollicités de toute part : « En Chine, la publicité est omniprésente : on trouve des écrans publicitaires dans les taxis, dans les cages d’escalier… » Dans un tel contexte, comment parvenir à se faire remarquer ? « Il faut savoir mettre en avant “à la chinoise“ la valeur ajoutée de son produit et déterminer le meilleur support pour communiquer auprès de sa cible ». En Chine comme ailleurs, le développement des réseaux sociaux est devenu un moyen privilégié pour toucher le consommateur : Weibo, l’équivalent chinois de Facebook et de Twiter, compte aujourd’hui 300 millions de comptes pour 500 millions d’internautes…

 

Le rêve à la française
Parmi les entreprises françaises parvenues à susciter l’intérêt des Chinois, des secteurs tels que les cosmétiques, le luxe, l’éducation, mais aussi le prêt à porter et l’agroalimentaire se développent particulièrement bien. Beaucoup d’architectes et de designers français trouvent notamment leur bonheur sur place. Premier marché de Bordeaux au monde, le vin s’est aussi énormément développé au cours des dernières années, avec l’apparition de vrais connaisseurs et une consommation de plus en plus orientée vers le milieu de gamme. Comment expliquer cet attrait pour la France ? « Les Chinois ont un grand attachement pour leur culture gastronomique, extrêmement variée : ils sont donc assez curieux de notre propre cuisine. Beaucoup de personnalités historiques ont aussi étudié en France, comme Zhou Enlai, Deng Xiaoping, ce qui a bien sûr renforcé cet intérêt pour la France. Un autre point qui les intrigue est le romantisme à la française. Une Chinoise m’a dit un jour : “En France, vous êtres romantiques car vous allez dans des cafés…“ Ce qu’elle voulait dire, c’est que nous prenons le temps de nous poser pour rêver et réfléchir, ce qui n’est pas vraiment le cas làbas. Pour elle, c’est de là que venait notre créativité. »
Le rêve, la créativité, telle serait donc cette mystérieuse valeur ajoutée des entreprises françaises. Réjouissons-nous de voir enfin la cigale marquer un point ! La fourmi n’est pas rêveuse, c’est là son moindre défaut…

 

Le saviez-vous ?
En Chine, le chiffre 8 est un porte bonheur : les numéros de téléphone qui en sont dotés sont donc fortement recherchés. A l’inverse, le chiffre 4 est particulièrement redouté : aussi est-il fréquent de trouver des immeubles  sans 4e étage, portant généralement le numéro 3bis. L’usage des codes couleur n’est par ailleurs pas le même qu’en Occident : danscertains contextes, le blanc peut en effet symboliser la couleur du deuil, tandis que le rouge, très utilisé, évoque des valeurs positives comme le bonheur, le mariage, la bonne fortune…

 

Alizée Gau