Sur la carte de la Catalogne, les trois lieux privilégiés de Salvator Dali, Cadaquès où il passe ses vacances en famille, Figueres où il conçoit « son » musée et Pùbol où s’élève le château offert à Gala, sa femme et sa muse, forment un triangle. La Catalogne, avec ses vents sculptant les montagnes et dégageant des ciels diaphanes, sa mer ombrée de rochers et ses plaines alanguies au soleil, son goût pour la liberté reste le paradis de Dali.
Enfance aisée entre Figueres et Cadaqués
Excentrique, provocateur, pantomime génial faisant de ses apparitions un spectacle, Salvador Dali se doit de contredire le mythe du peintre et de sa mansarde. Il est né le 11 mai 1904, au 20, rue Monturiol, dans une riche famille de notaires. Ses parents l’inscrivent à l’Ecole de dessin de Monsieur Nunez. Ce professeur que Dali adore, lui conseille de bonne heure de se consacrer à la peinture et sait convaincre ses parents. Chaque année, la famille passe l’été à Cadaqués, dans une étable restaurée, trop petite pour y installer un atelier. Son père lui louera un studio à la pointe de Pampà. Cadaqués devient un endroit à la mode attirant des personnalités telles que Federico Garcia Lorca, Luis Bunuel ou Paul Eluard, venu avec sa femme Gala et leur fille Cécile durant l’été 1929. Bunuel loge chez les Dali et propose au peintre de travailler avec lui sur ses scénarii. Dès que Salvador aperçoit Gala en maillot de bain sur la plage d’El Llaner, il est ébloui et lui fait une cour éperdue qui l’effraie d’abord (c’est une Russe de dix ans plus âgée que lui, mariée et mère de famille). Pressé de retrouver sa muse à Paris, Dali y organise une exposition en novembre. Sur le tableau Le sacré-coeur, il écrit cette phrase terrible : « Parfois, je crache par PLAISIR sur le portrait de ma mère ». Son père l’apprend et lui signifie son courroux par lettre. Réponse de Dali : se tondre le crâne, enterrer ses cheveux sur la plage et se représenter ainsi, un oursin sur la tête. Le notaire pousse loin la vengeance, interdisant aux propriétaires de la région de louer ou vendre la moindre bicoque au fils indigne…
Refuge à Portlligat
Réfugié à Paris auprès de sa belle, Dali regrette sa Catalogne et se souvient de la maisonnette de la baie de Portlligat où il a laissé son matériel de peinture. Il contacte la propriétaire de la baraque, Lidia, une pêcheuse que le notaire n’impressionne pas. Elle lui vend terrain et tanière qu’elle promet de rendre habitable, mais le décor reste spartiate. Cette première maison sera plus tard flanquée de six autres. Devenue Maison-Musée, la villa est un labyrinthe comprenant « un peu de tout ». Surréalisme, classicisme, style kitsch délirant. La piscine est bien sûr phallique, surmontée d’une oliveraie habitée par un Christ des poubelles, fait de rebuts. Le Colombier des Fourches est surmonté d’un oeuf gigantesque, motif souvent repris par Dali. Le visiteur est abasourdi par un tel dédalle et l’accumulation des objets, puis conquis par la paix mystique se dégageant du lieu.
Permanente représentation au Théâtre-Musée
En mai 1961, Dali exprime au maire de Figueres son désir de faire de l’ancien théâtre municipal incendié durant la guerre civile son sanctuaire… Il lui faut dix ans pour convaincre la Direction des Beaux-Arts de Madrid de financer le projet. Principale exigence de Madrid : que Dali offre au musée des oeuvres originales. Rude discussion. Dali promet de peindre le plafond de la Salle du Vent et les travaux commencent en octobre 1973. Dali charge l’architecte Emilio Pérez Pinero de couronner le bâtiment d’une structure de verre et d’acier en forme de géode. On introduit dans la fosse de l’orchestre une Cadillac pluvieuse flanquée d’une statue offerte par Ernst Fuchs et surmontée par le bateau jaune de Gala. Sous la coupole, dans la partie autrefois réservée aux acteurs, Dali installe ses toiles en trompe-l’oeil, visage apparaissant entre des motifs abstraits ou caché par des cubes colorés. A noter qu’il n’a jamais donné de nom à aucune de ses oeuvres… Pour Dali, ce musée inauguré à peine fini le 28 septembre 1974, ne doit pas être figé mais demeurer un work in process. Ce que prouve l’artiste en y adjoignant neuf ans plus tard la maison voisine, la Casa Gorgot comprenant la Torre Galatea où il habite parfois.
Déclamation de l’amour courtois au château de Pubol
A l’ermitage des Anges, Dali et Gala se marient en secret le 8 août 1958. Dix ans plus tard, âgée de 74 ans et lasse du tapage escortant son grand homme, Gala exprime son désir de se retirer au calme dans cette région. Dali lui promet un palais. Le lieu idéal est un petit château du XIVe siècle en mauvais état, accolé à l’église de Pubol. A l’opposé de la délirante villa de Portlligat, le château de Gala reste sobre et austère, Dali ne peut s’y laisser aller à sa fantaisie. La majestueuse demeure dédiée à « la reine Gala » comporte salle du trône, blasons, trompe-l’oeil et hommages à la muse. Pour visiter Gala à Pubol, même Dali doit exhiber son carton d’invitation.
Fin du couple et début du mythe
Ce n’est pas à Pubol, mais à Portlligat que Gala s’éteint le 10 juin 1982. Dali la fait embaumer et ensevelir dans sa robe rouge signée Christian Dior, en la crypte de Pubol. Fuyant Portlligat, il s’installe dans le château de Gala, peignant dans l’obscurité, face au buste de sa femme, se nourrissant de sorbets à la menthe, contemplant parfois les plus belles robes de Gala, fantômes de sa muse continuant de parader au grenier.
Après un incendie accidentel dans la chambre de Gala, Dali est hospitalisé. Refusant de revoir Pubol, il s’installe à Figueres, dans les dépendances de la Torre Galatea. C’est là qu’il meurt le 23 janvier 1989, après avoir doté son Théâtre-Musée de sa teinte écarlate et de ses pains disposés en quinconce, puis coiffé terrasses et créneaux de ses fameux oeufs. Il repose à présent dans son Théâtre-Musée. La tombe qu’il a fait construire à Pubol, près de Gala, restant vide…
Isaure de Saint Pierre