Christophe Bénaroya
Christophe Bénaroya

Au commencement était le nom…

Quartier libre A Toulouse BusiNess School

 

La marque représente sans conteste l’une des thématiques les plus travaillées et celle qui soulève le plus de passions, tant sur le plan managérial qu’académique. Omniprésente, au point de former autour de nous, selon l’anthropologue John Sherry, un paysage de marques (brandscape), elle fait l’objet de très nombreux travaux, en B2C ou plus récemment en B2B, sur sa valeur, son efficacité, sa gestion stratégique (branding). Si la création de marque et les études autour du choix de la « bonne » appellation sont des enjeux cruciaux pour les brand managers, la question, pourtant première et fondamentale, de « ce que nommer veut dire » est restée jusqu’ici délaissée.

Christophe Bénaroya
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Qu’est-ce que le naming ?
Si, curieusement, peu de recherches se focalisent sur l’acte même de nommer, ce processus renvoie en réalité à de nombreuses interrogations organisationnelles, managériales, stratégiques, marketing, juridiques, linguistiques, psychologiques, humaines et même philosophiques. Il en résulte différentes appellations pour traiter de ce processus de « nommage » avec des significations proches : l’acte de nommer correspond à l’attribution d’un nom et dont l’anglicisme « naming » est l’exacte traduction (1).

 

Pourquoi nomme-t-on ?
Il s’agit en premier lieu de conférer une existence, le naming dispose d’un caractère « performatif » (2). Nommer revient au fond à créer. Attribuer un nom revient à « donner l’âme aux êtres ». Le naming permet de « donner vie » à ce qu’il désigne et facilite l’échange, la représentation sociale, territoriale et historique. Il existe une dimension symbolique, voire même magique de l’attribution d’un nom en ce qu’il assigne des attitudes, un comportement et une croyance partagée. L’acte de nommer n’est donc pas neutre. Nommer, c’est symboliquement prendre le pouvoir, celui qui nomme obtient en effet un certain pouvoir sur la chose nommée. En tant que lieu d’affirmation identitaire, le naming s’inscrit dans une perspective historique, sociale et culturelle : nécessairement relié à un passé, le nom est également présage, pour reprendre la célèbre formule de Cicéron « nom est nomen ».

 

Pour quoi nomme-t-on ?
Le naming se situe au carrefour de plusieurs disciplines : la linguistique, la psychologie, la sociologie, la philosophie, la politique et le marketing. Si l’on songe à la marque, c’est bien le nom seul qui est au fond véhiculé, discuté, demandé ou prescrit par les clients au point que le nom finit par devenir psychologiquement la propriété des utilisateurs. Le naming concerne de nombreuses activités. En premier lieu, il s’agit évidemment de la première étape de l’attribution d’une marque à un produit et un service. Au-delà, ce processus se retrouve dans la désignation des projets. transformation d’entreprise (programme d’optimisation ou de réduction des coûts par exemple), de recherche scientifique (« Voltair »), de création d’entreprise mais aussi de programmes politiques (« New Deal ») ou géopolitiques (opération « Serval »). L’enjeu du naming est considérable et, pour reprendre les propos de Francis Picabia, « ce sont les mots qui existent, ce qui n’a pas de nom n’existe pas ».

 

(1) Il ne s’agit donc pas de l’expression naming, utilisée par abus de langage et non sans une certaine ambiguïté en marketing pour qualifier une opération de parrainage notamment d’installations sportives et des stades en particulier (Porsche Arena de Stuttgart ou le MMArena du Mans).
(2) « Dès le premier verset de la genèse, on comprend que Dieu est à l’origine du langage et que le monde a été créé par le langage. Les paroles de Dieu sont alors envisagées comme extrêmement performatives. Elles réalisent les actes que Dieu énonce : Que la lumière soit et la lumière fut. Le monde, l’univers même, est donc le résultat de la puissance suprême du Père Créateur : nommer » (Laurent, 2010). Par ailleurs, le premier acte d’Adam dans l’Eden est de nommer, il participe à la création du monde.

 

Par Christophe Bénaroya Professeur de Marketing, Docteur en Sciences de Gestion à Toulouse Business School

 

Contact : c.benaroya@tbs-education.fr