Aloïse Montreuse de tableau (page d’un cahier), 1941 mine de plomb et crayon de couleur sur papier 33 x 25 cm Photo : Amélie Blanc. Collection de l’Art Brut, Lausanne
Aloïse Montreuse de tableau (page d’un cahier), 1941 mine de plomb et crayon de couleur sur papier 33 x 25 cm Photo : Amélie Blanc. Collection de l’Art Brut, Lausanne

Au château de Beaulieu, à Lausanne, la Collection d’Art Brut de JEAN DUBUFFET

Né au Havre et mort à 84 ans à Paris le 12 mai 1985, Jean Dubuffet est le premier théoricien d’un art dit Art Brut, qui inspira sa propre production, faite de peintures et d’assemblages qualifiés de collages, mais aussi de sculptures et de monuments, tels que L’Hourloupe, la Closerie Falbala ou la Villa Falbala, en même temps qu’il ne cessait de critiquer les arts culturels alors reconnus, notamment dans son ouvrage Asphyxiante Culture.

 

 

Aloïse Montreuse de tableau (page d’un cahier), 1941 mine de plomb et crayon de couleur sur papier 33 x 25 cm Photo : Amélie Blanc. Collection de l’Art Brut, Lausanne
Aloïse Montreuse de tableau (page d’un cahier), 1941 mine de plomb et crayon de couleur sur papier 33 x 25 cm Photo : Amélie Blanc. Collection de l’Art Brut, Lausanne

Des expositions qui firent scandale
Sa première exposition, le 20 octobre 1945, à la galerie René Drouin, suscita alors un véritable scandale. Suivit quatre ans plus tard une seconde exposition, L’Art brut préféré aux arts culturels. La virulence de ses convictions, ces créations si différentes de celles de l’art traditionnel qu’il faisait ainsi connaître aux Français le propulsèrent sur le devant de la scène artistique, qu’il fût encensé ou vivement critiqué. Si bien que le Musée des arts décoratifs de Paris lui ouvrit ses portes du 16 décembre 1960 au 25 février 1961 pour y exposer une rétrospective de quatre cents peintures, gouaches, dessins ou sculptures. Pour lui, une consécration.

 

Un art affranchi de toute culture
Amoureux d’un art qui serait affranchi de tout contexte culturel ou social, Jean Dubuffet s’est, sa vie entière, passionné pour les créations marginales de pensionnaires d’hôpitaux psychiatriques, détenus, êtres asociaux ou marginalisés, enfin n’importe quelle « opération artistique toute pure, brute, réinventée par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions ». Il commença ainsi par rassembler plus de 5 000 oeuvres de 400 auteurs, cette collection étant la propriété de la Compagnie de l’art brut, fondée en forme d’art auprès des officiels français et en particulier d’André Malraux et parce qu’il avait de nombreux amis suisses, il accepta l’offre de la ville de Lausanne et la lui légua. Elle fut ainsi exposée pour la première fois en 1976 dans ce château de Beaulieu datant du XVIIIe siècle, ensuite agrandi et réaménagé. Elle comprend maintenant 60 000 pièces. Les artistes sont des fous, des criminels, des êtres en marge dont les oeuvres expriment la plupart du temps un cri, une souffrance ou parfois un charmant univers enfantin de petite fille croyant encore en la venue du prince charmant, telle l’artiste devenue célèbre bien malgré elle, Aloïse Corbaz, mieux connue sous le nom d’Aloïse.

 

Aloïse, la plus touchante
C’est sans doute parce qu’elle s’adresse à la part d’enfance qui demeure en chacun de nous qu’Aloïse nous semble la plus touchante. Une mère d’origine paysanne et morte quand elle avait onze ans, un père postier ne peuvent bien sûr satisfaire les rêves de grandeur et d’amour d’Aloïse. D’abord amoureuse d’un prêtre français défroqué, puis de l’empereur Guillaume II, Aloïse rentre dans sa Suisse natale juste avant la Première Guerre mondiale, sans toutefois oublier son grand amour, inassouvi bien sûr, pour l’empereur. « Que ne puis-je retremper mon âme en feu dans les yeux de firmament constellé d’étoiles d’un homme inaccessible que j’aime éperdument », écrira-t-elle. En 1918, elle fut hospitalisée pour schizophrénie à l’asile de Cery de Prilly. Deux ans plus tard, elle fut définitivement internée à l’asile de la Rosière de Gimel, où elle eut la charge de raccommoder et repasser les tabliers des infirmières. Ce fut sur cette table qu’elle commença à dessiner, à peindre ou à coudre son féerique univers de contes tout en le commentant sur le tableau même. Son médecin généraliste, Jacqueline Porret-Forel, s’intéressa à son oeuvre qui fit l’objet d’une thèse et de divers articles. Ce fut en 1947 que Jean Dubuffet vint la rencontrer, l’encouragea et en fit la figure majeure de sa collection. Enfin, cette même ville de Lausanne lui consacra une exposition spéciale réunissant près de trois cents de ses tableaux en 2012, intitulée Aloïse le ricochet solaire. Bien malgré elle, sa renommée était faite !

 

Un art impulsif né sur n’importe quel support
Comme l’explique Michel Thévoz, directeur de cette collection de 1976 à 2001 : « Les oeuvres sont, dans leur conception et leur technique, largement indemnes d’influences venues de la tradition ou du contexte artistique. Elles mettent en principes de figuration inédits, inventés par leurs auteurs et étrangers au langage figuratif institué. La déviance favorise la singularité d’expression et celle-ci accentue en retour l’isolement de l’auteur et son autisme, si bien que, au fur et à mesure qu’il s’engage dans son entreprise imaginaire, le créateur se soustrait au champ d’attraction culturelle et aux normes mentales. »
On a parfois voulu rapprocher l’Art Brut de l’art enfantin, naïf ou primitif. Même s’il y souffle le même vent, l’Art Brut ne subit aucune influence. Sa violence, déclenchée par un vécu difficile, folie, meurtre, mort, exil ou guerre, ne produit que des « oeuvres orphelines ». Elle ne fait jamais école. La création devient une nécessité vitale qui accompagne l’artiste sa vie durant. Il ne peut pas ne pas créer. Cet art, inné et impulsif, jamais appris dans une quelconque école, non destiné à être commercialisé, servit souvent à canaliser les pulsions suicidaires ou violentes de leurs auteurs ou à aider des fous ou des autistes à s’exprimer. Ces oeuvres d’art brut peuvent se révéler sous forme de dessins, peintures ou pastels, sculptures sur bois, pierre, assemblages de coquillages (Pierre-Désir Maisonneuve ou), laines ou rebuts de toute sorte, broderies (Madge Gill) ou n’importe quels travaux d’aiguilles. Elles peuvent être de toutes tailles, exprimer un univers magique (Henry Darger) ou ténébreux (Adolphe Wölfli ou Laure Pigeon), donner forme à d’étranges créatures (Curzio Di Giovanni, Heinrich Anton Mûller, Johann Hauser ou Carlo Zinelli) ou à un monde rêvé.

 

Collection de l’Art Brut Lausanne
11, av des Bergières, CH-1004 Lausanne,
Tél. : + 41 21 315 25 70
www.artbrut.ch

 

Isaure de Saint Pierre