Laurent Carraro, mathématicien et ancien directeur de Telecom Saint-Étienne a pris la tête des Arts et Métiers ParisTech en février 2012
Laurent Carraro, mathématicien et ancien directeur de Telecom Saint-Étienne a pris la tête des Arts et Métiers ParisTech en février 2012

Arts et Métiers ParisTech au service de ses étudiants et du pays

Le Grand Entretien : Laurent Carraro, directeur général ‘‘ Arts et Métiers ParisTech ’’

 

Faire des Arts et Métiers ParisTech un leader dans sa contribution au développement industriel, en formant des ingénieurs technologues, membres et acteurs de la communauté unique que sont les Gadzarts. Ce sont les ambitions de Laurent Carraro qui a pris la tête de l’École en février dernier. Il nous a aussi fait partager son regard sur un établissement qu’il découvrait alors que le conseil d’administration décidait de nommer une personne extérieure à l’organisation.

 

Laurent Carraro, mathématicien et ancien directeur de Telecom Saint-Étienne a pris la tête des Arts et Métiers ParisTech en février 2012
Laurent Carraro, mathématicien et ancien directeur de Telecom Saint-Étienne a pris la tête des Arts et Métiers ParisTech en février 2012

Après avoir été le directeur de Telecom Saint-Étienne, quelle école découvrez-vous en prenant la tête des Arts et Métiers ParisTech ?
Un établissement atypique dans le paysage de l’enseignement supérieur. Arts et Métiers ParisTech est vraiment un établissement national avec 12 sites en France dans 10 régions. Nos 8 centres et 12 implantations sont homogènes, il n’y a pas de logique de structure centrale, mais bien de réseau. C’est également une école de grande taille qui forme près de 5 000 étudiants tous cursus confondus, et emploie 1 100 personnes. Nous revendiquons de former de « vrais ingénieurs », en dispensant une formation d’ingénieurs technologues. Nos élèves se frottent à ce qu’est le métier dans toutes ses composantes technologiques, d’innovation, d’entrepreneuriat, industrielles, etc. Les anciens forment une communauté unique, la plus attachée à son école. La société des anciens est d’ailleurs la plus importante en Europe en taux d’adhérents parmi les diplômés comme en volume de personnes issues d’un même diplôme. C’est un atout extraordinaire. Nous travaillons étroitement avec la Société des anciens. Elle a été à l’origine de la Fondation Arts et Métiers en 1977 qui jusque récemment fonctionnait grâce aux dons et legs des anciens. Elle prend une ampleur nouvelle alors que des entreprises apportent leur soutien aux activités de recherche, financent des thèses, des bourses, des séjours à l’international, des prêts, l’entretien des résidences, des actions d’ouverture sociale, au handicap, pour plus de mixité dans nos métiers, pour promouvoir les sciences et technologies, etc.

 

Être un établissement national est à vos yeux un atout et mérite une attention particulière, pourquoi ?
Les pouvoirs publics développent l’enseignement supérieur dans une logique de site, qui n’est pas la nôtre du fait de notre périmètre national. Nous sommes membre fondateur de ParisTech et du PRES HESAM (Hautes Études Sorbonne Arts et Métiers). Ce sont des outils au service du développement de l’École, nos relations au sein de ParisTech comme du PRES HESAM ont un impact ou peuvent en avoir un à Cluny comme à Metz. Nous sommes aussi associés ou entretenons des relations sous convention avec d’autres PRES. Par exemple, nous sommes dans cette logique de complémentarité collective dans les territoires avec l’Institut Polytechnique de Bordeaux. Nous souhaitons aussi nous développer à Cluny autour du développement durable, en complémentarité avec le savoir-faire de la Région Bourgogne, grand producteur de bois et en cohérence avec nos préoccupations sur notre site patrimonial de Cluny. Ces développements sont liés avec nos autres sites, ainsi Cluny aura besoin de l’expertise en efficacité énergétique de Bordeaux. Le point délicat est de toujours veiller à ce que le local ne prenne pas le dessus au détriment de la logique collective.

 

Avez-vous eu de belles surprises en découvrant les Arts et Métiers ParisTech ?
J’ai été agréablement surpris de découvrir que nos centres ont une belle capacité à permettre à nos élèves d’aller au bout de la mise en pratique grâce à des ateliers. Les élèves peuvent y mener des essais, transformer la matière, couler de l’acier, fabriquer des prototypes ; ils peuvent travailler de l’idée jusqu’à sa conception, déployant l’ensemble des capacités qui en font des technologues. Je crois que cela leur offre une autre manière d’envisager le métier d’ingénieur. S’ils ne seront pas des exécutants, ils sauront de quoi ils parlent dans une usine, ils n’en n’auront pas qu’une vision intellectuelle et cela leur permettra de prendre des responsabilités.

Des changements se dessinent concernant le statut de l’École
Nous travaillons en effet à de nouveaux statuts qui devraient véritablement faire d’Arts et Métiers ParisTech un établissement unique. Cette évolution nous permettra d’être totalement en phase avec la loi sur la recherche de 2006. Nous sommes déjà un grand établissement, c’est la gouvernance qui change afin que nous profitions pleinement de ce statut.

 

Quelles sont vos autres ambitions ?
De positionner l’École sur le développement industriel du pays et l’innovation. De renforcer notre tradition d’ouverture vers certains publics (PT en CPGE, DUT, BTS, étudiants étrangers). Cette ouverture est certes sociale mais aussi en lien avec la promotion des sciences et technologies auprès des jeunes du secondaire. Nous préparons un dispositif pour la rentrée 2014 pour attirer ces élèves, car il manque un maillon entre le secondaire et l’École. Nous avons déposé une demande pour lancer un cursus ingénieur en apprentissage. Nous sommes un établissement national, or nous passons par des CFA locaux pour nos apprentis en formation de diplômes spécialisés. Nous réfléchissons à la création d’un CFA national dédié aux Arts et Métiers, pour le diplôme grande école. Une négociation collective de plusieurs écoles est en cours avec la CTI. J’entends par ailleurs valoriser le diplôme de docteur en lui conférant une orientation plus marquée vers l’entreprise et l’innovation. Cela devrait augmenter l’attractivité de notre école doctorale avec Mines ParisTech. Je souhaite enfin développer notre réseau autour de l’École, notre proximité avec l’ESTP et l’École Navale avec lesquelles nous avons notamment monté des doubles diplômes, sur tous les fronts : recherche, relations entreprises, formation. Nous sommes en contact avec 6 autres écoles qui souhaiteraient engager ce type relations privilégiées.

 

Arts et Métiers sont de beaux mots, vous semblent-ils bien représenter ce qu’est devenue l’École ?
Que les mots Arts et Métiers soient explicites est une bonne chose, car ils représentent ce qu’est notre École. Ce nom s’inspire des arts libéraux du Moyen- Age : trivium (arts de la parole) et quadrivium (sciences mathématiques). Arts et métiers se traduiraient aujourd’hui par sciences et technologies. Lorsque nous parlons de l’École, Arts et Métiers est son nom de marque, lorsque nous voulons expliquer notre positionnement, notre savoir-faire, nous parlons sciences, technologie et ingénierie.

Quel regard portez-vous sur vos étudiants ?
Ils sont ancrés dans leur époque et à bien des égards comme tous les jeunes. Malgré tout ils s’en distinguent. D’abord, je suis impressionné par le fait qu’ils soient très structurés dans tout ce qui concerne leurs activités étudiantes, leurs relations avec la Société des Anciens et plus généralement avec leur environnement. J’ai rarement vu un tel effet de mémoire, ce qui a été fait au sein de l’Union des Élèves se transmet et est intégré par les générations suivantes. Ils font plus que participer à la vie étudiante, ils se forgent une expérience. Leur attachement à l’École est impressionnant. Ils affichent quasi une passion pour leur école, s’engagent, font des propositions réfléchies et constructives. Ils sont totalement acteurs et partie prenante de l’École. Par ailleurs, je les trouve assez sereins alors que nous vivons une période difficile. Est-ce parce qu’ils se sentent part d’une communauté soudée, solidaire ? Cela ne les empêche pas de se poser des questions, et c’est normal lorsqu’on a été sur une trajectoire balisée, depuis le lycée.

 

« Quelle place les encouragezvous à prendre dans le pays ?
Dans les sociétés occidentales, l’industrie est devenue synonyme de licenciements et pollution. Les scientifiques ont un rôle à jouer pour montrer que l’industrie est créatrice d’emplois, de richesse, accompagne le progrès social dans l’histoire ; si l’entreprise industrielle est bien gérée et de façon responsable. Bien formés, nos ingénieurs assument leurs missions en ce sens et peuvent le revendiquer. C’est important pour combler le fossé entre décideurs économiques et société, et donc jouer un rôle dans la dynamique sociale du pays. J’ai fait partie cette année du jury des Olympiades de sciences de l’ingénieur, et tous les projets comportaient les dimensions de responsabilité sociétale ou environnementale. On sent que les futurs ingénieurs sont très concernés par leur rôle dans la société.

A quoi rêve Laurent Carraro pour les Arts et Métiers ParisTech ?
Qu’elle prenne une position de leadership dans l’enseignement supérieur pour son apport dans le développement industriel du pays.

 

Pour ses élèves ?
Je leur souhaite une vie très animée, riche et pleine, et beaucoup d’engagement.

Pour l’enseignement supérieur français ?
Que l’État accepte enfin de donner la pleine responsabilité aux établissements d’enseignement supérieur.

Et pour la France ?
Qu’elle se reconstruise un rêve collectif, un projet de société large et partagé. Il nous manque un avenir partagé, une vision partagée ; sauf à dire enfin de manière unanime que nous devons lutter contre la désindustrialisation et la faillite de la France. Mais ce constat n’est pas un rêve. Le pays a déjà été au pied du mur dans son histoire, et a su construire un nouveau projet.

 

http://www.ensam.fr/
http://blog.educpros.fr/laurent-carraro/
www.arts-et-metiers.asso.fr
www.fondam.org
www.hesam.eu

 

A. D-F