Les sciences du vivant occupent une place à part. D’abord parce qu’elles nous concernent dans ce que nous avons de plus intime, notre vie. Mais aussi, car en la matière, les connaissances progressent rapidement grâce aux nouvelles technologies. Elles seront aussi clés pour assurer l’avenir de la planète et de ses habitants alors que les ressources naturelles s’amenuisent. Gilles Trystram dévoile pour nous un pan de l’avenir auquel entend contribuer pleinement l’Institut des sciences et industries du vivant et de l’environnement, AgroParisTech, dont il vient de prendre la tête.
La pluralité des regards est notre grande force
Vous avez été directeur adjoint d’AgroParisTech et directeur délégué du centre AgroParisTech de Massy avant de prendre la tête de l’Institut en septembre dernier, vous êtes donc en pays de connaissance ?
Mon métier d’enseignant-chercheur m’a appris une chose essentielle : savoir tourner son regard. Si vous considérez une chose comme d’autres, vous arriverez au même résultat. Pour innover, progresser, avancer, il faut regarder autrement, s’obliger à voir différemment. Après avoir été chercheur, enseignant et responsable de laboratoire, je suis aujourd’hui directeur d’un établissement d’enseignement et de recherche. C’est un nouveau regard que j’entends développer à ce poste.
Qu’elle est la première chose que vous avez faite en arrivant ?
AgroParisTech est un Institut multisites. Je suis donc allé à la rencontre des différents départements, laboratoires et services de l’école, mais aussi de nos parties prenantes, à commencer par la tutelle et le conseil d’administration. J’ai également « soldé » mes activités de recherche et passé la main de mon unité de recherche avec émotion. La prise de fonction est un moment privilégié et à part. Rencontrer les gens l’esprit encore vierge, permet une liberté de paroles, des échanges d’idées qui m’ont permis de voir ce qui nous définit, ce qu’est ParisTech.
La discussion et l’échange sont-ils indispensables lorsqu’on travaille sur le vivant ?
Je dois d’abord dire que lorsqu’on travaille avec des jeunes, et à fortiori brillants et aussi prompts à se passionner et s’enthousiasmer que les nôtres, il faut avoir envie d’échanger, débattre, questionner, se remettre en cause. En outre, le vivant est en effet questionnable dans toutes ses dimensions. A nous de pousser les étudiants, de les inciter à trouver les éléments de leur motivation.
La réforme du cursus ingénieur engagée l’an dernier va dans justement ce sens ?
Poursuivre et finaliser la réforme sera ma première mission. Elle concerne tant le recrutement que le cursus ingénieur en lui-même. Nous avions hier trois voies de recrutement et trois diplômes issus des membres fondateurs de l’Institut. Désormais, ils sont unifiés. Nos élèves viennent à 65 % du concours commun des écoles de biologie, et à 35 % des concours universitaires ou internationaux. En entrant à Agro- ParisTech nos élèves construisent en toute connaissance de cause leur parcours, et font un choix d’approfondissement en 3e année. Dès la 1ère année, nous faisons en sorte qu’ils soient conscients du monde de l’emploi, ils sont accompagnés par des DRH, des anciens durant 100 heures. Ce dispositif doit leur permettre de faire de vrais choix. La seconde année est aussi au point, la 3e sera mise en oeuvre pour la première fois à la rentrée 2012. Les nouvelles filières de spécialité font le pari du développement de l’interface entre l’ingénierie et la santé et par ailleurs de l’ingénierie écologique et de la gestion de l’environnement au-delà des productions agricoles primaires. L’une des grandes forces d’AgroParisTech est la pluralité des profils de ses élèves, des domaines de recherche de ses enseignants-chercheurs, des disciplines des cours, des enjeux auxquels nos ingénieurs ont vocation à répondre.
L’obligation de se positionner parmi les meilleurs
Comment envisagez-vous AgroParisTech en tant qu’établissement ?
Il est l’alliance de trois dimensions : la formation avec les cursus ingénieurs, mastères et de doctorat ; la recherche avec une obligation d’excellence, de se positionner parmi les meilleurs ; et la dimension partenariale en tant qu’école de futurs ingénieurs au coeur du monde sociopolitico- économique, de la gestion du bien public ou architectes du développement des entreprises industrielles, de services, agricoles et forestières. Je souhaite une réelle synergie de ces trois dimensions, que ce soit une évidence pour AgroParisTech dans la durée. Je souhaite que cette capacité à se projeter et à fonder un modèle soit couplée à une capacité de remise en cause indispensable pour progresser et innover, et donc être utile à la société et aux entreprises.
A quels enjeux devront faire face vos diplômés ?
Tout comme notre établissement, ils devront faire face à un enjeu de connaissances. Celles des sciences du vivant qui recèlent un potentiel considérable. Ces connaissances concernent toutes les formes du vivant, du micro-organisme aux animaux en passant par les végétaux et les hommes. Quelle que soit l’échelle ou le type d’organisme, elles sont en augmentation. L’enjeu pour nos étudiants sera de savoir les mobiliser pour contribuer au bienêtre ou au développement des populations, préserver ce bien commun de l’humanité qu’est l’environnement et sa biodiversité. Leur mission sera de produire et préserver des matières premières, créer de la valeur afin de permettre aux populations de se nourrir, aux sociétés de se développer, et j’espère tout cela en harmonie. Nous préparons des ingénieurs aptes à comprendre, anticiper, accepter et piloter les systèmes évolutifs, incertains et complexes propres au monde du vivant. Qu’il s’occupe de sécurité alimentaire, de valoriser la forêt, de mettre au point de nouveaux produits, de gérer l’implantation d’un parc industriel en bordure d’une ville, des sources énergétiques ou une station d’épuration des eaux, l’ingénieur AgroParisTech fait la synthèse entre sciences, ingénierie et management. Il va chercher des réponses aux enjeux en s’appuyant sur les fondamentaux scientifiques et techniques, il sait les mettre en oeuvre et gérer des organisations. Les bons ingénieurs du vivant sont aussi de bons gestionnaires.
Ouverture et alliances
Outre la réforme pédagogique et la mise en place de voies d’approfondissement en fin de cursus, la rentrée 2011 est aussi marquée par le lancement de 5 doubles diplômes ?
Notre alliance au sein de ParisTech prend un relief particulier au travers de l’ouverture de 5 doubles diplômes accessibles à nos étudiants et à ceux des établissements partenaires, auxquels s’ajoutent 2 doubles diplômes antérieurs des écoles d’application de Polytechnique. Ils ont été noués a v e c HEC Pa r i s , l e s Ar t s e t Métiers ParisTech, Chimie Paris- Tech, ESPCI ParisTech, l’Ecole Polytechnique, Mines Paris- Tech, et ENSAE ParisTech. Les élèves passent deux ans dans chaque établissement. Notre ouverture est également sociale, Agro ParisTech étant une école traditionnellement ouverte à des profils très divers, notamment issus du monde agricole. Nous avons aujourd’hui 30 % de boursiers dans nos promotions. Cette ouverture est également rendue possible car nous avons la chance de pouvoir proposer 1 000 logements en Ilede- France en résidence étudiante. Si nous avons le statut d’Université, notre taille reste à échelle humaine et permet un accompagnement personnalisé des élèves.
Le vivant est questionnable donc questionné
Plus d’un tiers de vos diplômés rejoignent l’industrie agro-alimentaire. Cette dernière est souvent décriée. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet en tant que spécialiste en génie des procédés des industries alimentaires et biologiques ?
Le débat est complexe et souvent ses termes ne sont pas posés. L’usage de l’alimentat ion dome s t ique pos e aut ant problème que la façon dont elle est industrialisée. Car s’il n’y avait pas de produits industriels à disposition, il faudrait néanmoins les transformer pour les conserver ou les consommer. Cuire un aliment génère des transformations, crée des molécules. Pour des raisons industrielles, nourrir les populations suppose une diversité de moyens : il faut produire en masse, gérer les coûts, favoriser une régularité des procédés de fabrication, dans une optique de durabilité pour la santé mais aussi d’équité permettant à chacun de se nourrir. L’une des grandes difficultés pour l’alimentation industrielle est que l’on a fait des progrès colossaux en chimie analytique grâce à l’informatique. On peut aujourd’hui détecter des molécules ou particules qu ’on n e voyait pas il y a seulement 10 ans de cela. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de dérives et que les connaissances pourraient être mieux utilisées. Mais là encore, il faut du temps pour que les entreprises s’approprient les résultats de la recherche. Donc, vue de nos laboratoires, la situation n’est pas toujours bien explicitée au grand public dans certains reportages voire par les écologistes.
« la bio express »
Ancien directeur adjoint d’AgroParisTech et directeur délégué du centre AgroParisTech de Massy, le professeur Gilles Trystram a pris la tête de l’Institut des sciences et industries du vivant et de l’environnement le 1er septembre dernier. Spécialiste en génie des procédés des industries alimentaires et biologiques, il a été élu en 2006 à l’Académie des Technologies pour ses travaux.
A. D-F