LE GRAND TÉMOIN
DIRIGEANTE, ADMINISTRATRICE DE SOCIÉTÉS ET ENGAGÉE DEPUIS 15 ANS EN FAVEUR D’UNE MEILLEURE REPRÉSENTATIVITÉ DES FEMMES DANS L’ENTREPRISE, VÉRONIQUE MORALI EST À LA FOIS LE TÉMOIN ET L’ACTEUR PRIVILÉGIÉ DE L’ÉVOLUTION DES CONSCIENCES ET DE LA LOI. ENTRETIEN.
Quelles sont les motivations qui vous conduisent à vous engager depuis toutes ces années pour la place des femmes dans l’économie et les entreprises ?
C’est toujours un ensemble de choses qui conduit à ce type d’engagement. Dans mon cas, ce sont toutes les facettes de ma vie en tant que femme citoyenne, mère et dirigeante, qui me motivent. La situation des femmes a une résonnance pour moi en tant que dirigeante tout comme le fait d’être mère de deux filles dans un aspect de transmission, de vigilance.
« L’engagement est le devoir de celles qui sont privilégiées. »
Y’a t-il eu un élément déclencheur à votre engagement ?
J’ai consacré une partie de la construction de ma vie personnelle et professionnelle sans engagement vis-à-vis de l’extérieur, puis à un moment il s’est avéré naturel. Je le considère comme le devoir de celles qui sont privilégiées. J’ai été élevée dans l’esprit qu’il faut donner à la société. J’ai conforté cette idée à l’ENA et durant mes débuts professionnels dans le service public (Inspection des finances). Après avoir rejoint le monde de l’entreprise au sein de Fimalac, ma rencontre avec Aude de Thuin, la fondatrice du Women’s Forum qui réunit 1 200 femmes d’influence du monde entier une fois par an à Deauville, a été mon point d’entrée dans l’engagement. J’en ai été la présidente pendant 4 ans. Je me suis attelée à le rendre international avec des déclinaisons au Brésil, en Birmanie, à Bruxelles et pour le Japon et Dubaï. A Deauville, les thèmes sont universels et centrés sur l’économie. Un tiers des participantes de l’an dernier venaient pour la première fois. Cela me fait dire que la relève de femmes actives engagées est assurée !
VÉRONIQUE MORALI (Sciences Po, ESCP Europe, ENA) est la présidente du directoire de Webedia. Elle est administratrice de conseils d’administration depuis 1993. Aujourd’hui, elle siège chez Publicis Groupe, Alcatel-Lucent, la Compagnie Financière Edmond de Rothschild, Coca Cola Entreprise et Fitch Ratings. Véronique Morali s’investit en faveur de la place des femmes dans le monde professionnel au sein du Women’s Forum for the Economy and Society, en tant que co-fondatrice du Women Corporate Directors Paris (réseau de femmes membres de conseils d’administration), et fondatrice de Force Femmes et de Terra Femina.
Vous avez participé aux réflexions menées en amont de la loi Copé- Zimmermann, êtes-vous satisfaite de ses résultats ?
Les quotas nous ont permis d’être en capacité de faire concrètement avancer la représentativité des femmes dans les CA. La France est en pointe dans le monde en la matière. La première marche, atteindre les 20 % de femmes administratrices était la plus simple à franchir. La seconde à 40 % sera plus ardue. Nous devons donc rester vigilants. La loi française a créé une situation favorable même si tout n’est pas parfait.
Que reste-t-il à faire ?
La grande révolution serait l’accès des femmes aux postes à responsabilités exécutives. Elles n’y sont représentées qu’à moins de 10 % et il n’y a plus de femme patronne d’un grand groupe. En outre, elles ne représentent que 30 % des entrepreneurs. Des actions existent pour accompagner et développer les femmes dans leurs parcours (mentoring, plans de succession…) mais force est de constater que le plafond de verre se maintient.
La question de l’envie des femmes se pose aussi. Certaines ont envie d’aller au bout, de prendre des responsabilités, et la vie qui va avec ; d’autres sont hésitantes ; d’autres encore ne le souhaitent pas. Il n’y a pas une vision linéaire des choses. Il y a à la fois des progrès et des régressions sur la place des femmes dans les entreprises.
UNE QUESTION D’ÉQUITÉ
A quoi aspirez-vous ?
A plus d’équité. Or, il n’est absolument pas équitable et en plus rien ne justifie que les femmes soient moins payées que les hommes à compétences et travail égal, que les hommes soient favorisés dans leur progression car ils ne peuvent pas avoir d’enfants. Nous devons rechercher une société plus équitable à l’égard des femmes. Toutes ne veulent pas devenir dirigeantes, mais celles qui le souhaitent et en possèdent les capacités doivent pouvoir y parvenir. L’équité nous concerne tous, car les injustices concernant le recrutement, les salaires, le fait de casser les carrières des femmes au moment de leur maternité, cela coûte des points de croissance ; c’est un obstacle à une économie en bonne santé.
LAISSER LE TEMPS À LA RÉUSSITE DES DISPOSITIFS
Quels sont les messages/ actions efficaces pour vous dans l’entreprise ?
Ceux qui parlent de compétences, d’équité. A l’inverse, ceux qui crispent la société, créent des clivages, sont contreproductifs. Il faut s’atteler à réduire les inégalités salariales, le temps partiel subi qui touche majoritairement les femmes et mieux les aider à gérer les différents temps de vie. L’entreprise s’accoutume progressivement au fait que des femmes prennent des responsabilités. Il faut capitaliser, faire de la pédagogie, afin que toutes les initiatives portent leurs fruits.
Et aux ÉVOLUTIONS CULTURELLES
Les choses sont-elles plus complexes en ce qui concerne la société ?
Les messages concernant les thèmes sociétaux sont en effet plus délicats à élaborer. Par exemple autant il existe un consensus concernant les violences faites aux femmes et le fait qu’il faut les dénoncer, autant on a pu constater que le thème du genre est clivant et a été récupéré politiquement, interprété. Les mutations sociétales et culturelles sont délicates à mener car elles touchent aux questions les plus intimes pour chacun d’entre nous, le genre, la famille, la place des hommes et des femmes. La loi joue un rôle dans ces évolutions. Il faut du temps pour voir quels usages fait la société des nouvelles possibilités offertes par la loi.
Pensez-vous que les jeunes filles auront des défis différents de ceux auxquels vous vous attelez depuis 15 ans ?
Les jeunes filles sont elles aussi concernées par les questions d’équité. Pourtant je ne suis pas sûre qu’elles se les posent vraiment ! Lorsque l’on sait que les jeunes diplômées sont plus touchées par le chômage que les jeunes hommes, qu’elles perçoivent des salaires inférieurs dès le début de leur carrière et cela y compris lorsqu’elles sortent d’une grande école, je crois qu’il y a pourtant matière à s’interroger. Il est aussi indispensable que nous nous interrogions sur les aspirations spécifiques des jeunes générations qui ont un impact sur la manière dont ils envisagent leur place dans la société et l’entreprise. De nombreuses jeunes femmes ont fait de belles études car elles ont de l’ambition, mais n’ont pas envie de se battre pour prouver en permanence leurs compétences et qualités. Ce que nous avons fait, nous les pionnières. J’ai perdu ma mère jeune et j’avais envie de me battre, de m’affirmer.
A D-F